lundi 2 février 2009

Franz Ferdinand "Tonight : Franz Ferdinand"

4 ans... 4 ans qu'on les attendait sagement, poliment, mais surtout impatiemment. C'est que les Ecossais ne nous avaient pas habitués à se faire prier.

Contrairement à "You Could Have It So Much Better" (2005) – enregistré dans la foulée du succès de leur 1er album éponyme (à peine 1 an après) –, qui transpirait par toutes les pores d'un sentiment d'urgence et fonçait tête baissée, le pied en permanence sur l'accélérateur, Franz Ferdinand a ici vraiment pris le temps de se poser et de réfléchir à la direction à prendre pour leur 3ème album. Le résultat leur donne raison car, à l'image de Coldplay sur leur dernier et très bon "Viva La Vida Or Death And All His Friends", on sent dans "Tonight : Franz Ferdinand" un besoin quasi vital d'évoluer, de ne pas tomber dans la facilité en cherchant à creuser inlassablement le sillon ouvert avec "Take Me Out".

Les membres du groupe clamaient, à leurs débuts, que leur but avoué était de « faire danser les filles ». Ce qui au départ n’était qu’une simple phrase tirée d’une interview est rapidement devenu leur marque de fabrique tant les journaux rock, toujours aussi avides de trouver un improbable « sauveur du Rock », s’empressèrent de s’emparer de cette phrase pour l’ériger en slogan. « Faire danser les filles » ? Ce fut rapidement chose faite, et pas que pour la gente féminine (comment résister à des chansons telles que "The Dark Of The Matinee" ou "Take Me Out" ?). En toute logique, la ligne de conduite du groupe n'a pas changé en 2009 et a même pris de l'ampleur. Quasiment tous les titres ont ici pour mission de réveiller la bête des dancefloor qui sommeille en nous. En lisant entre les lignes, on s’aperçoit même que "Tonight : Franz Ferdinand" va plus loin et pousse jusqu’au bout le raisonnement, Alex Kapranos et ses acolytes nous proposant de les accompagner tout au long de leur virée nocturne (après nous avoir fait dansé comme des damnés, le disque se calme sur la fin, évoquant un salutaire retour au calme après une soirée épique).


L'album se veut donc résolument dansant, et à cette fin, les Franz Ferdinand ont volontairement baissé le tempo et les BPM, ralenti la cadence parfois infernale des précédents albums pour mieux groover et sonner presque funky par moments. Leur palette s'est grandement élargie depuis leur fantastique 1er album, qui sonnait très « brut de décoffrage » en comparaison : moins de guitare, davantage de claviers bizarroïdes – orchestrés de main de maître par Nick McCarthy – ("Ulysses", "What She Came For", "Twilight Omens", "Can’t Stop Feeling"), et production plus léchée aboutissant à un son plus fourni. Mais ce qui n'a nullement été altéré par les années et reste la pierre angulaire du groupe, c’est ce sens aigu du rythme, ce savoir-faire incroyable dans les refrains, cette science des « breaks » qui fait de leurs chansons des petites montagnes russes, et puis cette inamovible et inébranlable machine de guerre que composent la batterie de Paul Thomson et la basse de Bob Hardy, qui semblent être nés pour jouer ensemble.

"Ulysses", qui ouvre les hostilités, demeure un single ultra efficace au refrain simplissime mais accrocheur. On sent un vrai potentiel dans cette chanson, et compte tenu du talent des Scotish sur scène, on l’imagine aisément prendre une toute autre dimension en live. "Turn It On" et son rythme chaloupé, son chant volontairement bancal, dégage une efficacité redoutable. "No You Girls", qui sonne plus "classique", possède un refrain qui va faire tourner la tête de bien d'auditeurs et est clairement destinée à tourner en boucle sur toutes les radios rock. "Send Him Away" surprend par ses sonorités africaines mais, comme "Twilight Omens", peine à réellement convaincre. Tout le contraire de "Bite Hard", qui enthousiasme immédiatement : sans transition, après une douce introduction ("You don't know I sing these songs about you / You don't know the pseudonyms I assume for you"), elle durcit le ton et est parcourue tout du long d’une tension palpable, symbolisée par le martèlement constant de la batterie. "What She Came For" nous emballe complètement : son groove élastique et son final d’une violence rare chez Franz Ferdinand nous procurent une excitation intense : pour une fois le groupe se lâche et donne tout ce qu’il a. On sent qu'il met toute l’énergie dans la bataille, sans retenue, et le résultat est énorme. "Live Alone", qui pourrait devenir le pendant masculin du "Atomic" de Blondie, rayonne dès les premières notes et offre à l'album une chanson absolument jubilatoire et, accessoirement, un tube planétaire en puissance. "Can't Stop Feeling" est à l'image de l'album : coloré et dansant. Puis vient "Lucid Dreams" et son introduction en forme de trompe l’œil. En effet, la version présente sur l’album n’a plus grand chose à voir avec l’excellent single lancé fin 2008 sur internet. Elle part dans toutes les directions huit minutes durant, jusqu’à un final électro complètement barré et surtout absolument inattendu de la part de Franz Ferdinand. Les 4 écossais prennent ici un malin plaisir à contourner les sentiers battus, à prendre tout le monde à contre-pied, et à nous amener à l’opposé de là où on les attendait. Pari osé mais réussi. "Dream Again" (les rêves, décidemment...) est la chanson la plus étrange du disque, évoquant le Pink Floyd de Syd Barrett. Enfin, la très sympathique "Katherine Kiss Me" a des faux airs de "Fade Together", qui concluait en beauté l'album précédent.


Ainsi, "Tonight : Franz Ferdinand" ne marque pas une révolution chez Franz Ferdinand, plutôt une métamorphose en douceur. Ils ne se réinventent pas, mais se renouvellent intelligemment. Ce n’est pas donné à tout le monde.

Eagles Of Death Metal "Heart On"


Les moustaches, la bière, les tatouages, le mauvais goût, les virées nocturnes entre potes, c’est pas votre truc ? Passez votre chemin. Car s’il y a bien des domaines où le dénommé Jesse “The Devil” Hughes – leader et chanteur des Eagles Of Death Metal – s’y connaît fort bien, ce sont ceux-là.
Mais cela reste un peut réducteur pour cerner complètement le personnage. C’est que l’énergumène a une personnalité quelque peu atypique, voire encombrante : fervent cocaïnomane, profondément mégalomane, fidèle croyant mais obsédé sexuel et pornographe notoire, activiste républicain, anti-Obama convaincu, membre de longue date de la NRA (lobby pro-armes américain extrêmement puissant),… De là à dire que Jesse Hughes est un gros con, il n’y a qu’un pas, certes, mais… Mais “Heart On” est si excitant et réveille en nous quelque chose de si rare (une énergie rock primale, la vraie, la bonne, celle qui fait bouger les fesses et secouer la tête sans calcul, sans retenue, sans comprendre vraiment ce qui nous arrive) qu’à vrai dire, tout ça, on s’en tamponne un peu…

Comment les Eagles Of Death Metal en sont-ils arrivés là ? Car, il faut bien l’avouer, malgré la présence du surdoué Josh Homme, rien ou presque ne laissait présager qu’ils évolueraient un jour à ce niveau. Après un 1er album assez brouillon (“Peace, Love, Death Metal”, 2004), un 2ème sympa mais pas transcendant (“Death By Sexy”, 2006), et à l’image de leur faiblarde 1ère partie des Strokes au Zénith en 2006, on les croyait condamnés à évoluer à jamais dans l’ombre, dans une sorte de 2ème division du Rock. Oui, mais voilà : de la même façon que le fantastique “Midnight Boom” des Kills ou le “Baby 81” des Black Rebel Motorcycle Club (groupe aussi doué que son nom est débile) nous avaient cloués sur place après plusieurs albums inégaux, leur “Heart On” nous laisse pantois, sans voix. C’était inattendu et ça n’en est que meilleur.
Pour faire court : la moitié de l’album est globalement extraordinaire avec, en tête, ce “Wannabe in LA”, chanson comme on n’en n’a plus entendu depuis des lustres : il faudrait remonter à l’époque où les Strokes ne pointaient pas aux abonnés absents pour retrouver un single de cette envergure. On pense aussi au “No One Knows” des Queens Of The Stone Age, par ailleurs concurrents directs d’Eagles Of Death Metal pour le titre du nom de groupe le plus stupide de la planète… Du reste, ce n’est peut-être pas un hasard car leur leader n’est autre que Josh Homme, lequel s’avère être l’ami d’enfance de Jesse Hughes, mais surtout le co-fondateur, producteur et homme à tout faire des Eagles Of Death Metal, auxquels il se consacre à 100% lorsque les Queens Of The Stone Age lui laissent des vacances.

Ce qui nous frappe spontanément à l’écoute de l’album, c’est l’omniprésence de l’influence des Rolling Stones : on imagine aisément les deux compères écouter “Sticky Fingers” en boucle pendant l’enregistrement. Il faut dire qu’à certains moments, on a franchement l’impression que Mick Jagger et Keith Richards ont été invités sur le disque (tout particulièrement sur le solo de “Prissy Prancin' ”, le chant de “Solo Flights” ou bien les riffs de “Heart On” et “How Can A Man With So Many Friends Feel So Alone”).
Mais si “Heart On” est donc un album profondément « Stonien » dans l’âme, il n’en demeure pas moins que le groupe possède un son et une atmosphère reconnaissables entre tous : ce mélange de guitare heavy, de voix de fausset aux accents funky, de riffs excitants, de martèlement de batterie,… Ne crions pas au génie : les Eagles Of Death Metal n’inventent rien mais, dans la droite lignée des prodigieux Hives, ils recyclent 60 ans de musique rock avec un brio peu commun et un plaisir contagieux. On sent que les deux J.H. prennent un pied incroyable à jouer ces chansons, et cet enthousiasme est plus que partagé par l’auditeur.

D’emblée, “Anything 'cept The Truth ” annonce la couleur : le titre est féroce, carré, puissant, les guitares lourdes et saturées. Le message est clair : nous allons assister à un déluge de guitares. “Wannabe in LA”, sommet de l’album dont on ne parvient pas à se lasser, même après la 128ème écoute, réveillerait un mort et ferait remuer les fesses d’un mormon. Comme souvent chez les Eagles Of Death Metal, la chanson tient à un fil, un enchaînement de 3-4 accords composant un riff énorme et dansant à souhait, magistralement accompagné par la batterie de Josh Homme. “(I Used To Couldn’t Dance) Tight Pans” et “High Voltage”, qui viennent juste après, sont révélateurs des faiblesses (car il y en a) qui caractérisent le groupe. En effet, si Jesse Hughes est passé maître dans l’art de concocter des cocottes, gimmicks et autres riffs surpuissants, les mélodies manquent encore trop d’épaisseur pour convaincre complètement (pour preuve ce “Now I’m A Fool”, tentative à moitié réussie de ballade pop). Là réside à vrai dire le seul vrai défaut de ce remarquable 3ème album, qui repart ensuite de plus belle : “Secret Plans” et “Heart On” sont du même acabit que “Wannabe in LA”. Sur “Cheap Thrills”, le groupe laisse parler sa puissance avec des guitares crasseuses, pendant que la voix de Jesse Hughes plane au dessus de ce magma sonore en fusion.
L’album s’achève par un bouquet final : “How Can A Man With So Many Friends Feel So Alone”, “Solo Flights”, l’immense “Prissy Prancin' ” et “I’m Your Torpedo” viennent enfoncer le clou et rappeler, si besoin est, qu’avec leur nouvel opus, les deux américains viennent de placer la barre haut, très haut. Ils parviennent ici à conjuguer deux aspirations essentielles (total fun et énergie rock pure et dure), et signent un album excitant comme on en trouve trop rarement. L’année débute à peine, et nous tenons déjà entre nos mains un petit chef d’œuvre.