mardi 23 février 2010

Hell's Kitchen + Mustang + Bob Log III (22 Février, La Maroquinerie - Festival "Les Nuits de l'Alligator")






Concert chroniqué pour Froggy's Delight.

Répondant à l'appel du blues, nous nous rendons ce soir à La Maroquinerie pour assister à la première des sept soirées parisiennes du festival "Les Nuits de l'Alligator" - consacré à la musique née sur les rives du Mississippi. L'affiche de ce soir s'avère aussi aussi éclectique qu'intéressante : de grands suisses (Hell's Kitchen), de jeunes pousses Clermontoises qui montent (Mustang), et un astronaute prêcheur de blues (Bob Log III).

Les
Hell's Kitchen sont chargés de démarrer la soirée. Ils entament leur set par un blues lancinant et écorché, puis enchaînent avec deux morceaux beaucoup plus virulents et entraînants, chargés de saturation. Quarante minute durant, ils alterneront entre ces deux styles.

Sur scène, un guitariste-chanteur, un batteur-percussionniste et un contrebassiste. Le guitariste, tout sauf un manchot, nous gratifie de quelques solos forts réjouissants. Un brin déjanté, il assure aussi le spectacle par ses grimaces, ses cris et poses en tous genre, et ses tentatives d'avalage de micro. Le batteur, lui, alterne entre batterie et washboard, alors que le contrebassiste demeure imperturbable.

Le passage tonique et musclé des Hell's Kitchen n'apporte certes rien d'extraordinaire ou de révolutionnaire, mais les suisses rendent tout de même une très bonne copie, honnête et inspirée, qui a convaincu le public, nous y compris.

Place à Mustang : dès leur apparition, on se retrouve projetés illico au beau milieu des années 50. Tout sur scène (musique, fringues, voix, coiffures) ramène à la décennie dorée du rock & roll. Vêtus de blanc, cheveux gominés et coiffés façon Elvis pour le chanteur, pantalon à bretelle et chapeau pour le bassiste, lunettes de soleil pour le batteur : les Mustang ont tout pour plaire à Didier l'Embrouille.

Après un méticuleux changement de plateau, ils attaquent par "Mustang", un titre instrumental qu'on jurerait écrit par les Shadows. La guitare est bourrée de réverb, la basse est ronde et chaude, la batterie soutient le tout habilement. La musique des trois garçons est complètement à contre-courant, on les imagine aisément faire un tabac dans les 50's.

Les mauvaises langues les cantonneront à des Chats Sauvages ou des Chaussettes Noires modernes. La filiation existe mais est réductrice. Ces trois gars ont de l'énergie à revendre, de vraies qualités de musiciens et des influences racées (Gene Vincent, Elvis Presley, Chuck Berry, mais pas seulement). Le rêve Américain fonctionne à plein régime pour Mustang. Mais ils font un peu trop propres sur eux pour que notre curiosité se transforme en enthousiasme. Il leur manque encore une dose d'agressivité rock pour convaincre complètement.

Même si les compositions ne sont pas encore toutes à la hauteur, Mustang s'impose comme un bon groupe de scène. Ils alternent efficacement slows ("La Plus Belle Chanson Du Monde", superbe ballade dont les accords ne sont pas sans rappeler un célèbre duo versaillais), rockabilly ("Sexy Symphonie"), surf pop ("King Of The Jungle"), rock & roll ("Je M'Emmerde"), yéyé ("Pia Pia Pia") et ajoutent quelques effets électroniques - boîtes à rythmes et synthé - ("C'est Fini", très Kraftwerk dans l'esprit).

Les tics vocaux de Jean Felzine peuvent parfois crisper, mais on voit surtout en lui un bon chanteur, à la maturité et à la maîtrise vocale indéniable. S'ajoute à cela le fait que la version live présentée ce soir est autrement plus convaincante que celle du disque. Il faut prendre Mustang pour ce qu'il est : un exercice de style passionné mais encore tendre. Même si leur prestation a ses limites, les anachroniques Clermontois sont donc bien plus qu'une simple caricature et finissent par remporter la partie.

Dernier artiste à rentrer en piste ce soir : Bob Log III. Imaginez un Daft Punk orphelin de ses platines, transformé en Homme-Orchestre, et jouant du John Lee Hooker sous amphétamines. De profil, avec son téléphone incrusté dans le casque en guise de micro, on croirait voire une mouche géante sur scène. Ne lui manque plus que les ailes. Arrivée depuis les coulisses en jouant sur sa guitare, l'américain ne s'octroie aucun temps mort. Le pied droit vissé sur la pédale de grosse caisse et le gauche sur ses cymbales, le musicien offre un blues cradingue complètement déjanté envoyé à toute allure. Au-delà du concept scénique amusant, Bob Log III donne sérieusement envie de remuer du popotin.

Expérience bizarre tout de même que de fixer un cosmonaute à guitare pendant une heure. Une chose est sûre : ce n'est pas par le regard qu'il fait passer ses émotions. L'américain n'a pas sa langue dans sa poche et manie fort bien la provocation : ses pitreries baragouinées entre deux morceaux font glousser les spectateurs. Au cours d'hilarants monologues, il supplie notamment ces derniers de lui donner à boire ("I'll drink everything, I'm a thirsty motherfucker !") puis enchaîne sans transition avec "A song about absolutely nothing". Tout ça n'a ni queue ni tête, le show a un aspect décalé et foutraque très plaisants.

Mais là aussi, le concept a ses limites. Certes emballants et sacrément décapants, les titres suivent le même schéma et s'avèrent répétitifs au bout du compte. Mais ne faisons pas la fine bouche : son show est suffisamment étonnant pour passer un bon moment musical.

Cette charmante soirée d'ouverture du festival "Les Nuits de l'Alligator" a tenu ses promesses. Dans une ambiance décontractée et bon enfant, on a assisté à trois déclinaisons différentes et réussies du blues.

Lire également la chronique du concert sur Froggy's Delight.



Découvrez la playlist Mustang

lundi 15 février 2010

Hot Chip "One Life Stand"




Hot Chip a prouvé depuis ses débuts qu'il pouvait être une machine à tubes imparables ("Ready For The Floor", "Over And Over", "And I Was A Boy From School", ou encore "Out At The Pictures"). Rebelote avec ce One Life Stand qui distille son lot d'hymnes électro. Mais pas seulement : malgré une légèreté de surface, les anglais gagnent en profondeur.

La musique d'Hot Chip peut il est vrai avoir quelque chose d'irritant. Flirtant parfois avec la facilité mais souvent magnifique, elle a clairement quelque chose d'addictif. Chaque plongée dans ce One Life Stand rend un peu plus accro. Pas un jour ne s'est écoulé depuis son acquisition sans qu'il ne passe dans nos enceintes.

La première écoute laisse pourtant assez perplexe. Les nouveaux morceaux proposent pour la plupart des couplets construits sur un motif répété inlassablement. Cela aurait pu s'avérer problématique sans les refrains ravageurs ou les mélodies imparables qui illuminent la majorité des chansons. Les londoniens ont cette qualité féline de toujours réussir à retomber sur leurs pattes.

"Hand Me Down Your Love" en est l'exemple parfait : plutôt quelconque jusqu'au refrain, la chanson bancale se mue ensuite en un titre irrésistible. L'envolée lyrique finale reste un des grands moments du disque : on est littéralement transportés.

Si l'on arrive à passer outre les sons de synthés 80's qui parsèment l'album et à fermer les yeux sur quelques ratés ("I Feel Better", l'intro de "Thieves In The Night"), One Life Stand révèle un vrai trésor mélodique. "Thieves In The Night", "Hand Me Down Your Love", "One Life Stand", "Brothers" : Hot Chip aligne les merveilles. Mais le clou du spectacle reste l'irrésistible "Take It In" (qui clôt l'album), meilleure chanson jusqu'ici composée par le groupe.

On n'est pas convaincus par tout ce qu'offre Hot Chip sur ce disque, mais chaque morceau (mis à part "I Feel Better" et son horrible vocoder) suscite l'étonnement. Surtout, Hot Chip arrive à injecter une dose d'humanité dans un monde électro d'ordinaire bien froid. Leur musique sensible et mélancolique montée sur ressorts dégage une chaleur communicative. Le secret d'Hot Chip réside peut-être dans cet équilibre parfait entre tubes pour dancefloor et subtilité pop, entre hédonisme et sérieux. Autre élément assez rare dans un groupe électro pour le signaler : Alexis Taylor est vraiment un bon chanteur.

Bourré d'hymnes en puissance et distillant sa dose de frissons électro, One Life Stand est un disque qu'on ne peut s'empêcher d'aimer malgré ses défauts. En attendant le nouveau LCD Soundystem, Hot Chip prouve qu'il reste largement au-dessus de la mêlée et signe notre premier vrai coup de cœur de l'année.

Lire également la critique de l'album sur Froggy's Delight.


Découvrez la playlist Hot Chip "One Life Stand"

dimanche 14 février 2010

Midlake "The Courage Of Others"





Rien ne prédestinait les américains de Midlake à faire autant parler d'eux. Rien sauf leur talent et leur capacité à se surpasser. Leur premier album (Bamnan And Silvercork, 2004) les avait placés dans l'inconscient collectif comme de gentils bricoleurs pop perpétuant habilement l'héritage de Grandaddy ou Mercury Rev. Mais après les splendeurs réalisées sur The Trials Of Van Occupanther (2006) - un des grands disques des années 2000 -, le nouvel album des Texans était extrêmement attendu.

La première écoute de The Courage Of Others se révèle déroutante, pour ne pas dire décevante. Là où Midlake partait auparavant dans toutes les directions, quitte à ressembler parfois à un laboratoire de recherche en pop symphonique et en sonorités bizarroïdes, ils resserrent ici les rangs et offrent un univers exclusivement folk, qui évoque par instants un Syd Matters neurasthénique.

Que l'on ne s'y méprenne pas : la musique de Midlake est toujours aussi belle et intemporelle. Mais il manque ce petit quelque chose qui faisait la magie de The Trials Of Van Occupanther. L'esprit reste cependant assez proche : ballades contemplatives mid-tempo, harmonies splendides, orchestrations travaillées. Tout ça sent bon le travail d'orfèvre. Mais l'ensemble manque de mordant et, surtout, le voyage s'avère trop paisible. Le vrai grand défaut de cet album est son uniformité : passés les deux superbes premiers titres ("Acts Of Man" et "Winter Dies"), le disque ne révèle guère plus de surprise. Tout semble avoir déjà été dit plus tôt, et en mieux. Seule "Fortune" se démarque de l'ensemble et vient proposer une récréation lumineuse.

Ainsi, aucun titre de The Courage Of Others ne sort vraiment du lot. Le disque ne dispose pas de singles évidents comme The Trials Of Van Occupanther. Si la subtilité est toujours de mise, les chansons, plus alambiquées, perdent en évidence. Là où les morceaux du dernier album frappaient directement au cœur, les nouvelles compositions demandent du temps pour se dévoiler.

On conseillera donc l'écoute de ce disque en plusieurs fois, par petites doses. L'homogénéité (pour ne pas dire monotonie) de l'ensemble peut provoquer à la longue un ennui poli, alors que prises unes à unes, les chansons se révèlent toutes très belles. Il faut persévérer et prendre le temps d'apprivoiser ce disque, qui gagne en force au fil des écoutes.

Malgré le charme indéniable de l'ensemble, on ne s'enthousiasmera donc pas outre mesure pour ce nouvel album. Pourtant, même un ton en-dessous, Midlake reste un groupe passionnant. Fidèles à eux-même, ils poursuivent leur route comme bon leur semble, hermétiques aux modes et insensibles aux sirènes du succès éphémère. The Courage Of Others ne convaincra donc pas les détracteurs de Midlake. Il déroutera même dans un premier temps les amoureux de The Trials Of Van Occupanther tant la frontière entre beauté et monotonie y est fragile. C'est là que réside la difficulté de ce disque qui mérite plusieurs écoutes pour se révéler.

Lire également la critique de l'album sur Froggy's Delight.

Découvrez la playlist Midlake

samedi 13 février 2010

Concerts à venir... Mars 2010

The Obits le 2 Mars au Point Ephémere
The Antlers le 2 Mars au Scopitone
These New Puritans le 4 Mars au Point Ephémere Reporté au 29 Avril
Hockey le 4 Mars à La Maroquinerie
Girls le 5 Mars à La Maroquinerie
Brendan Benson le 6 Mars au Nouveau Casino
Hot Chip le 8 Mars au Bataclan
Adam Green le 8 Mars à l'Alhambra
Oslo Swan le 9 Mars à La Maroquinerie
Gush le 11 Mars à La Maroquinerie
The Dodoz le 12 Mars au Nouveau Casino
General Elektriks le 12 Mars au Bataclan
The Bellrays + The Fleshtones le 13 Mars à La Clef (St Germain en Laye - 78)
Laurent Garnier le 13 Mars à la Salle Pleyel
Plasticines le 16 Mars à La Maroquinerie et le 19 Mars au Rack'am (Brétigny-sur-Orge - 91)
Get Well Soon le 16 Mars à La Cigale
Yeasayer le 19 Mars au Trabendo
Pony Pony Run Run + Pacovolume le 20 Mars au Plan (Ris-Orangis - 91)
The Cranberries le 22 Mars au Zénith
Phoenix le 22 Mars à l'Olympia
Peter Gabriel le 22 Mars au Palais Omnisports de Paris Bercy
The Stranglers le 25 Mars au Bataclan
Kitty Daisy & Lewis le 25 Mars au Café de la Danse
Fun Lovin' Criminals le 26 Mars à La Maroquinerie
Airbourne le 26 Mars au Zénith
Les Shades le 30 Mars au Nouveau Casino et le 27 Mars au Rack'am (Brétigny-sur-Orge - 91)
The Rodeo le 30 Mars au Café de la Danse
BB Brunes le 31 Mars au Magic Mirror - Parvis de la Défense
The Silver Mountain Zion Memorial Orchestra le 31 Mars à l'Alhambra

mardi 9 février 2010

Kasabian (8 Février 2010, Olympia)




Après un Bataclan conquis haut la main cet automne, Kasabian revient à l'Olympia en ce début d'année. Séduits par leur splendide West Ryder Pauper Lunatic Asylum, nous sommes allés vérifier ce que les anglais avaient sous le capot.






En première partie, un groupe français répondant au doux nom de Control. Look exubérant un brin calculé (guitariste en manteau de fourrure et lunettes de soleil, chanteuse en peignoir de soie noir), rythmiques efficaces, guitare tirée au cordeau, chant énergique : rien de surprenant, mais le début du set est plutôt entraînant, quelque part entre les Kills et Garbage. Très vite, il apparaît pourtant évident que la miss a étudié avec minutie le jeu de scène et le chant d'Alison Mosshart. Sauf que là où la chanteuse des Kills et de Dead Weather dégage un authentique mélange de félinité, de sensualité et de rage, celle de Control peine à emballer son auditoire. Même son généreux décolleté fièrement exhibé à la vue des 2000 spectateurs n'y fera rien.

On en avait entendu parler ici ou là, mais "
Julie & The Mothman" (Face B du single "Underdog"), que l'on prend de plein fouet en entrée du concert, à de quoi décoiffer. D'une puissance rare, elle ressemble à un condensé de tout ce que Kasabian a pu faire de mieux. "Underdog" et "Where Did All The Love Go ?", les tubes du dernier disque, qui sont joués immédiatement après, annoncent la couleur : la soirée va être excellente.

Forts de deux albums inégaux mais parsemés de pépites (
Kasabian, 2004 et Empire, 2006) et d'un excellent dernier opus (West Ryder Pauper Lunatic Asylum, 2009), Kasabian déroule son répertoire avec maîtrise, sûrs de leur effet. On les comprend : à part quelques faiblesses ("Swarfiga", "Stuntman" (malgré un refrain efficace), "Processed Beats"), leur setlist est en béton armé.

Pourtant, Kasabian revient de loin : lors de leur concert (raté) à Rock en Seine 2006, ils tardaient à convaincre. Mais par la grâce d'un album qui n'a pas fini de faire parler de lui, ils sont redevenus passionnants.
Tom Meighan, jadis notre tête à claque préférée, joue à la perfection son rôle de frontman-poseur, invective la foule, se démène comme un beau diable et, accessoirement, chante remarquablement bien. Sergio Pizzorno, tout en discrétion dans son seyant slim à carreaux rouges, tisse habilement la toile sur laquelle surfe le chanteur. On s'excuse auprès des 4 autres musiciens - un 2ème guitariste et un clavier sont venus grossir la troupe-, mais ces deux-là attirent toute notre attention. A l'évidence, Kasabian est un hydre à deux têtes, un peu à la façon Gallagher (à qui ils doivent beaucoup) : d'un côté un guitariste-compositeur érudit, à la créativité bouillonnante, mais trop réservé pour enflammer les foules, de l'autre un chanteur grande gueule, indécrottable fan de foot mais doté d'un charisme magnétique.

"Shoot The Runner", "Thick As Thieves" dont le refrain est repris par le public, "Take Aim" chantée par Pizzorno, "Fast Fuse" qui finit en splendide délire psyché, "Club Foot" et même "Empire" : Kasabian ne nous laisse aucun répit et enchaîne ses superbes hymnes pour stades de foot. De ballon rond il est d'ailleurs question lorsqu'un Tom Meighan provocateur revient pour le rappel affublé d'un maillot de l'équipe anglaise de football. Accueilli par les sifflets, c'est de bonne guerre. On se gardera de disserter sur les chances respectives de nos deux sélections lors de la prochaine Coupe du Monde. On préfèrera hurler le refrain de "Fire", en harmonie totale avec un Olympia raide dingue de plaisir. La soirée se termine par un "L.S.F. (Lost Souls Forever)" d'anthologie repris en chœur jusque sur les trottoirs du Boulevard des Capucines.

Au final, la moitié des titres joués ce soir sont tirés du dernier disque, qui passe aisément l'épreuve du live.
Plus de doute : les gars de Leicester ont clairement franchi un palier et, même si tout n'est pas encore parfait, ils ont gagné leur place dans le gotha rock actuel. En attendant mieux ?


Setlist : 01 Julie & The Mothman, 02 Underdog, 03 Where Did All The Love Go ?, 04 Swarfiga, 05 Shoot The Runner, 06 I.D., 07 Processed Beats, 08 Thick As Thieves, 09 Take Aim, 10 Stuntman, 11 Empire, 12 Fast Fuse, 13 The Doberman, 14 Club Foot / Rappel / 15 Fire, 16 Vlad The Impaler, 17 L.S.F. (Lost Souls Forever)

Lire également la chronique du concert sur Froggy's Delight.

Photos : Le Hiboo



Découvrez la playlist Kasabian

samedi 6 février 2010

"Gainsbourg (Vie Héroïque)" de Joann Sfar





Le dessinateur du Chat du Rabbin portant à l'écran la vie tumultueuse du plus grand des chanteurs français : la rencontre des deux univers a, a priori, tout pour plaire. Loin de façonner un énième biopic convenu et lisse, Joann Sfar déjoue habilement les pièges du genre et signe un film très personnel.

Gainsbourg (Vie Héroïque), porté par des acteurs habités et regorgeant de scènes poignantes, se révèle être un très beau film. Seules quelques longueurs viennent tempérer notre enthousiasme : certaines scènes, notamment dans le dernier tiers du film (périodes Birkin puis Gainsbarre), ne sont pas d'un intérêt démesuré.

Comme toute adaptation cinématographique de la vie d'une personnalité publique, une grande partie de la réussite du film repose sur les épaules de l'interprète principal. Bonne pioche : à chacune de ses apparitions, Eric Elmosnino bouffe l'écran de son talent fou. Ce Gainsbourg a de la gueule. L'acteur délivre en effet une prestation en tous points remarquable : l'inévitable jeu des ressemblances est par moments saisissant. Pour ne rien gâcher, la ribambelle de seconds rôles impressionne - particulièrement les femmes ayant traversé la vie de Gainsbourg (Lucy Gordon en Jane Birkin, Anna Mouglalis en Juliette Gréco, Sara Forestier en France Gall, Mylène Japanoï en Bambou, Yolande Moreau en Fréhel). Philippe Katerine tire également son épingle du jeu en campant un sémillant Boris Vian.

Mais le clou du spectacle reste la tornade sensuelle BB (blonde, pas brune), interprétée avec une grâce insolente par Laetitia Casta. On comprend mieux désormais l'impact énorme qu'a eu (en bien puis en mal) le fulgurant épisode Bardot sur la vie de l'artiste. Le choc de leur rupture semble avoir débridé le potentiel destructeur du chanteur. Le film touche du doigt la clé du mystère Gainsbourg, l'extrême complexité d'un personnage brillantissime, d'une timidité maladive mais grand séducteur devant l'éternel, dandy d'un autre âge guérissant ses profonds complexes dans les bras de ses femmes successives, maniant avec habileté et intelligence cynisme et provocation sans parvenir à masquer son extrême gentillesse. Et, surtout, un homme doté d'un talent fou. D'une capacité insensée à jongler avec les mots, d'un sens de la formule réservé aux plus grands, d'une aisance mélodique et orchestrale que peu ont atteinte à part lui.

La grande originalité de ce conte (comme le précise l'affiche), c'est cette marionnette, qui suit le petit Lucien puis le grand Serge comme son ombre, ce mauvais esprit pervertisseur autant que libérateur, métaphore personnifiée des démons qui hantaient le chanteur et qui l'ont conduit à la carrière et la vie que l'on connaît. Joann Sfar n'est pas encore Michel Gondry, dont les aspirations bricolo-poétiques ne sont pas si éloignées, mais dès sa première réalisation, il arrive habilement à s'affranchir des règles du genre en y intégrant son univers singulier. On espère que son film, débordant d'amour pour celui qui restera comme l'un de nos plus grands artistes du 20ème siècle, permettra d'imposer une autre vision de cet immense artiste que celle du Gainsbarre pathétique de la fin, à laquelle tant de gens le réduisent.

Découvrez la playlist Serge Gainsbourg


Lire également la critique du film sur Froggy's Delight.

vendredi 5 février 2010

Stereophonics (4 Février 2010, Olympia)




Venus défendre leur 7ème album (Keep Calm And Carry On) ce soir à l'Olympia, les gallois de Stereophonics sont-ils encore dignes d'intérêt ?

Avant de pouvoir en juger, nous assistons à la sympathique première partie de The Rodeo, duo folk dont l'univers se rapproche de celui de Laura Marling. Mais leur musique, agréable à écouter, manque encore de caractère. Du coup, on n'est pas vraiment emballés. Il faut dire que les groupes dans cette veine sont si nombreux et si ressemblants qu'il en faut davantage pour sortir du lot.



Les Stereophonics, eux, ont explosé à la fin des années 90, marchant sur les cendres d'une brit-pop vieillissante. Pour être franc, ils auront surtout fait illusion le temps de trois albums (Word Gets Around en 1997, Performance And Cocktails en 1999 et Just Enough Education To Perform en 2001) avant de sombrer par la suite. Le bilan depuis 2001 est bien maigre : on dénombre tant bien que mal une chanson potable tous les deux ans ("Dakota", "It Means Nothing", "Innocent"), une par album. Du coup, on commence à se demander ce qu'on est venu faire ce soir à l'Olympia. Puis on se rappelle que les Gallois ont été capables d'éclairs de génie par le passé ("Mr.Writer", "More Life In A Tramps Vest", "Pick A Part That's New", "Have A Nice Day", "Handbags and Gladrags", "My Own Worst Enemy"), et on reprend confiance.

Mais pas pour longtemps. On a beau se rassurer comme on peut, le constat final est terrible : il y avait belle lurette que l'on n'avait pas vu de concert aussi désespérément ennuyeux. Dans ses meilleurs moments, Stereophonics ressemble à un groupe pour pub aux refrains efficaces. Le reste n'est qu'un cocktail indigeste et creux, sans aucune finesse.

Les titres suivent tous la même structure, le son saturé devient vite insupportable, et assez rapidement notre esprit file ailleurs. Devant ce tableau peu reluisant, on se résout à se contenter des miettes. On constate tout d'abord que les chansons sont meilleures lorsque le groupe ralentit le tempo. Mais pas toujours : pour preuve ce "Maybe Tomorrow", pénible ballade d'un vide abyssal, pourtant chantée à tue-tête par l'ensemble du public. Reste la voix splendidement écorchée de Kelly Jones et quelques titres qui rehaussent tant bien que mal le niveau : "Trouble" et "Innocent" (morceaux efficaces extraits de leur dernière livraison, Keep Calm And Carry On), ainsi que les classiques "Traffic", "More Life In A Tramps Vest" et "Local Boy In The Photograph". En rappel, "Have A Nice Day" parait bien facile et dénuée d'âme, tandis que "Dakota" montre le groupe sous son meilleur jour.

Mais c'est bien trop tard, et en ce qui nous concerne, l'expérience nous a définitivement vacciné.

Setlist : 01 Live ‘N’ Love, 02 Madame Helga, 03 I Got Your Number, 04 A Thousand Trees, 05 Uppercut, 06 Superman, 07 Brother, 08 Innocent, 09 Maybe Tomorrow, 10 You Stole My Money Honey, 11 Help Me, 12 Just Looking, 13 Trouble, 14 Traffic, 15 Same Size Feet, 16 Could You Be The One, 17 More Life In A Tramps Vest, 18 Local Boy In The Photograph / Rappel / 19 She’s Alright, 20 The Bartender And The Thief, 21 Have A Nice Day, 22 Dakota




Découvrez la playlist Stereophonics


Lire également la chronique du concert sur Froggy's Delight.

Photo The Rodeo : Le Hiboo.

mercredi 3 février 2010

Interview Hindi Zahra (extraits)

Retrouvez l'interview complète sur Froggy's Delight.



Charmante rencontre que celle d'Hindi Zahra, petit bout de femme d'une grande gentillesse, forte personnalité au franc-parler très appréciable. Dès que l'on parle musique elle a l'œil qui pétille et devient intarissable. Hindi Zahra ne triche pas et se livre telle qu'elle est, fière de sa culture métissée et consciente de la richesse de son parcours. Fraîcheur, idéalisme, intégrité : Hindi Zahra a tout pour plaire. A commencer par sa musique.

Pour toi, cet album c'est un premier aboutissement, ou c'est juste le début de l'aventure ?
C'est surtout la concrétisation de trois années de travail, le fruit de nombreux concerts, d'heures et d'heures de travail, d'un an et demi passés sur ce disque. Donc c'est vraiment l'aboutissement de quelque chose.

Au printemps, tu t'engageras dans une grosse tournée (avec notamment un passage par La Cigale le 15 Février). C'est important pour toi d'aller sur scène ?
Oui, oui, moi je ne voulais même pas faire de disque, avant. Je voulais juste faire des live. C'est ma famille, mes amis et mon tourneur qui m'ont poussé à faire cet album. Le but pour moi, c'était surtout de faire davantage de concerts. Ça n'a pas été évident au début, j'ai mis trois mois pour l'enregistrer, mais voilà, c'est fait.

Le titre de ton album (Hand Made) colle bien à l'esprit du disque, avec son côté artisanal, ses chansons à l'état brut. Est-ce une volonté d'échapper à tout prix à la logique du formatage ?
J'ai juste voulu enregistrer mes chansons simplement. Je n'ai vraiment pas pensé au format, j'ai pensé à mon expression, à comment je voulais faire mes chansons. Quand je compose, je ne me demande pas si ça va plaire aux gens, ce n'est pas du tout comme ça que je fonctionne. Je cherche plus ce qui a du sens pour moi dans une chanson, musicalement, mélodiquement, rythmiquement. Je vais vraiment dans ce que j'ai envie de faire, librement.

Ton disque est très épuré, il laisse beaucoup de place à l'espace, au silence. Il dégage aussi un spleen, une mélancolie qui n'est jamais pesante, mais au contraire très lumineuse. Du coup, il sonne à la fois triste et entraînant.
Oui, ça c'est le fado, c'est la musique de la méditerranée. Et c'est aussi le blues, où à la base les mecs te chantent des trucs qui sont censés te brûler le cœur. En même temps, il y a une rythmique, une sorte de transe qui te met dans un mouvement. Ce n'est pas fait pour t'enterrer, on ne déploie pas les violons pour te noyer sous les larmes.

J'ai un vrai plaisir à chanter la nostalgie. Le fado m'a énormément marqué, la musique d'Oum Kalthoum, le blues et la musique égyptienne aussi. Cette tristesse vient aussi de ma façon de chanter, et là je ne contrôle rien, c'est juste ce que je sais faire.

Le blues, c'est une influence incontournable. Tout vient de là. Le rock aussi, c'est juste du blues plus dynamique. Même le jazz, jusqu'au swing, pour moi c'est pareil, c'est dérivé du blues. Au début, dans le jazz, il y avait une vraie nostalgie. Puis les batteries sont arrivées, les mecs ont commencé à swinguer...

Cet éclectisme se retrouve dans les textes, qui sont à la fois anglais et berbères. Ce mélange des genres, c'est venu naturellement ?
Oui, parce qu'au Maroc, la musique étrangère, occidentale qu'on entendait le plus, c'était la musique noire américaine, donc en anglais. Et puis quand je joue une chanson comme "Stand Up" à Mexico, les gens te comprennent. Même au Maroc, quand je chante en anglais, ils me comprennent. Alors que quand je chante en berbère, ils ne me comprennent pas forcément. Pour moi, c'est comme pour Bob Marley, qui ne chante pas en créole jamaïcain mais qui chante en anglais. Il y a une universalité avec l'anglais qu'il n'y a pas avec les autres langues. A une époque, il y a eu une vraie déferlante autour de James Brown au Maroc. Il chantait des hymnes, et nous on comprenait le message, "Get Up" ! Ces gimmicks, ce sont de vrais appels à la danse, et seul l'anglais peut le faire avec autant de puissance. Pour nous, au Maroc, c'est super important les gimmicks.

Ça parle tout de suite...
Voilà, et ça ça m'intéressait beaucoup. L'anglais, c'est de la pâte à modeler, c'est une langue qui permet plein de formes : tu peux l'étirer comme tu peux le rendre plus rythmé.

C'est plus difficile à faire en français...
Oui, et même en berbère ou en arabe ! C'est carrément plus évident en anglais. Pourtant, ma première langue, c'est le berbère. Donc ma langue la plus légitime, ce serait celle-là. Je l'honore quand même en faisant deux chansons en berbère sur l'album. Ensuite vient l'arabe, ensuite vient le français en même temps que l'anglais. Les gens me demandent souvent pourquoi je ne chante pas en français. Oh, les gars ! C'est ma troisième langue ! Si je devais être en légitimité par rapport à une langue, ce serait le berbère. Mais je ne suis pas sûr que ça vous ferait plaisir si je chantais toutes les chansons en berbère. Je doute que ce soit plus accessible, et pour moi, c'est assez indispensable d'être comprise.

Au niveau de ton chant, y a-t-il des artistes qui t'ont beaucoup influencé ?
Oum Kalthoum ! Dans l'expression, ça m'a beaucoup marqué. Ma mère était fan, elle écoutait ça tout le temps. Après, il y a eu Amalia Rodriguez, avec le fado. Puis Yma Sùmac, Billie Holiday, beaucoup Ella Fitzgerald. Mica Paris, on ne la connait pas bien, mais c'est une super chanteuse. Plein de chanteuses mauritaniennes... Il y a beaucoup de gens en fait, et surtout des femmes.

Sur le titre "At The Same Time", il y a une formule qui me plaît particulièrement : "I should die in your arms, love is so beautiful and cruel at the same time". C'est simple mais beau. Ce thème de l'amour revient souvent dans tes chansons. Ça te tient à cœur ?
Oui, c'est un peu le centre de toutes les choses. Les gens qui se battent pour le pouvoir ont besoin de reconnaissance et ont besoin d'amour. C'est toujours un peu la même histoire. Quand les gens ont envie d'attirer l'attention, c'est une recherche d'amour. Il y a un thème que j'aborde sur le mariage arrangé dans la chanson "Oursoul". Quand on parle du mariage forcé, on plaint souvent les femmes, mais on oublie souvent que les mecs aussi sont forcés à se marier. Mais même en berbère, je ne mets pas le doigts dessus, je trouve ça un peu vulgaire. J'aime bien les images, les métaphores. J'aime parler des sentiments et des émotions de façon à ce que les autres puissent se l'approprier.

Il y a un parallèle entre ta musique et ton identité : on ne peut pas la cataloguer, et c'est tant mieux. C'est même ce qui fait sa force. Ton album est un brassage des genres, ce qui lui donne beaucoup de caractère.
Oui, c'est aussi pour ça que j'ai voulu utiliser plusieurs instruments. J'étais souvent à la guitare pour mes lives, et j'ai demandé à mon éditeur de me ramener un clavier. J'ai commencé à jouer dessus, il y a aussi des guitares électriques qui sont arrivées après. Tout ça apporte des couleurs différentes. Ce qui se profilait et ce que les gens attendaient, c'était un truc comme "Beautiful Tango", voix / guitare, "allez, tu me bâcles ça tu me mets des "claps" et des percus". Moi je voulais aller vers d'autres choses, je ne me serais pas limitée à faire un seul truc.

J'ai essayé de rester très sobre sur disque, car j'aimerais apporter plus de profondeur sur les lives. Pour moi, la vie d'un artiste ne s'arrête pas à l'album. La où elle devient vraiment sérieuse, c'est sur le live. Pour moi, ça a toujours été quelque chose d'important. C'est comme si j'avais posé mes chansons très gentiment sur le disque, en allant vers les instruments dont j'avais envie, avant d'aller vers le live où là on va donner une marge de profondeur, aller sur de l'impro.

On commence à parler de plus en plus de toi. Est-ce que tu le ressens au niveau des concerts ? Le public est plus nombreux, connaît les paroles ?
Oui, et je pense que dès le début, grace à Internet, il y a eu du bon bouche à oreille. Quand on est parti à l'étranger, j'étais étonné : à Londres par exemple, il y avait 250 pré-ventes. C'est bien, parce que ça s'est construit au fil des années. Je n'aime pas quand ça sort de nulle part, c'est insupportable. J'aime bien mon parcours parce que jusqu'à présent, c'est progressif, naturel. Je retiens même un peu les choses pour que ça n'aille pas trop vite. Je fais des concerts depuis 2005, et l'évolution est progressive : le rythme des concerts a augmenté de façon naturelle.

De là où je viens, au Maroc, la musique ne passe que par la scène et par le bouche à oreille, elle est imatérielle, il n'y a pas d'industrie du disque. Tu connais le téléphone arabe ? C'est exactement ça. Pour moi, c'était important qu'avant même que les maisons de disques s'intéressent à moi, les gens apprécient ma musique. C'était essentiel pour moi.

Je n'aime pas trop la facilité. Pour ma musique, j'aime bien la logique, le sens et parfois des trucs un peu faciles. Mais pour le métier, je n'aime pas la facilité. J'ai aimé aller vers des gens qui ne me connaissaient pas. C'est dur, mais au moins tu sens le fruit de ton travail. Une chose dont je suis fière, c'est qu'en concert, les gens ont toujours ressenti ce qu'on faisait là. Tu ne peux pas leur mentir. Si tu ne donnes rien, ça se voit tout de suite. Pour moi, c'est un échange, c'est du ping-pong.

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Interview réalisée pour Froggy's Delight.