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mercredi 17 juin 2009

Rufus Wainwright (Special Solo Performance, Cité de la Musique, 16 Juin 2009)

Invité par Marianne Faithfull dans le cadre de son "Domaine Privé", Rufus Wainwright se produit ce soir en solo à la Cité de la Musique. L'égérie des 60's entre sur scène et annonce, pour entamer sa résidence à la Cité de Musique, le concert du grand (tant par le talent que par la taille) Rufus. Il pénètre dans la salle sous les acclamations, les spectateurs n'ont d'yeux que pour lui. Après une accolade châleureuse et une bise à son aînée, le chanteur canadien gagne son piano.

Il se lance directement dans "Going To A Town", charge acerbe contre l'Amérique réactionnaire de Georges W.Bush (titre présent sur l'album Release The Stars, sorti en 2007). Les choses ont changé depuis, et le refrain initial -"I"m so tired of you America" - devient en 2009 "I'm not tired of you America" ou encore "I'm so tired of you California". Les paroles changent, mais la mélodie reste la même, toujours aussi magnifique, à la fois mélancolique et puissante. Une des ses plus grandes réussites. Puis il enchaîne avec "Leaving For Paris No. 2", splendide complainte lancinante et romantique.

Le chanteur jonglera habilement ce soir avec ses différents albums, chantant quelques extraits de chacun d'entre eux - à l'exception de Want One, pourtant son meilleur album, mais aussi le plus produit, et donc peut-être moins aisé à retranscrire seul au piano. Au regard de son concert, on constate qu'en onze ans, cinq albums, quelques reprises et un grand nombre de collaborations, Rufus Wainwright, s'est constitué un immense répertoire. Quasiment tous les titres joués ce soir sont déjà des classiques.

Après un "Beauty Mark" plus gai (présent sur son premier album Rufus Wainwright, 1998), il délaisse son piano et empoigne une guitare acoustique. Ceci, dit-il, "pour que vous puissiez voir mes jambes". Plus sobre que lors des shows avec son groupe, le canadien n'a pas son pareil pour distiller des petites touches d'humour franchement tordantes. Il manie l'auto-dérision à la perfection et - malgré une barbe de plusieurs jours et des cheveux longs - joue de ses charmes pour le plus grand plaisir de ses admirateurs-trices (il peut). Sur le très beau refrain de "Sanssouci", tout en vocalise, il dodeline de la tête et fait démonstration de ses talents de chanteur. "Gay Messiah" vient immédiatement après, avant que le chanteur ne regagne son siège et n'entame les accords de piano de "Grey Gardens" - extrait de Poses (son 2ème album).

Rufus Wainwright enchante, et sa voix fait des merveilles. Le concert est jusqu'ici parfait. Malheureusement, on est un peu moins enthousiaste sur les deux chansons suivantes : "Memphis Skyline" (sur Want Two, 2004) convainc moins, malgré un final impressionnant avec de très beaux arpèges de piano. Puis "Hallelujah" - reprise du classique de Jeff Buckley (qui l'avait repris lui-même à Leonard Cohen) -, si elle est sans doute la chanson qui a rendu Rufus Wainwright célèbre (on peut l'entendre sur la B.O. de Shrek), charme moins que l'originale. Curieusement, la canadien n'arrive pas à retranscrire l'émotion et la sensibilié présente dans la version de Jeff Buckley. C'est pourtant son crédo, mais ici, le piano est trop mécanique, l'ensemble trop peu varié. Reste la voix, toujours aussi saisissante.

Pour ce concert un peu particulier, Rufus Wainwright nous a concocté quelques surprises, et notamment des lectures de sonnets de William Shakespeare qu'il jouera au piano ensuite. Il entame par "When Most I Wink" (Sonnet 43) , puis se lance dans la lecture du Sonnet 20 ("A Woman's Face"). Il commence à bafouiller en plein milieu, en rigole, et demande à Marianne Faithfull de venir à son aide. Celle-ci s'exécute, et en fait une lecture ténébreuse et habitée.

Une fois cette parenthèse refermée, le chanteur poursuit la relecture intimiste de son répertoire avec "California" et le splendide "Not Ready To Love" à la guitare. Visiblement peu à l'aise avec l'instrument sur lequel il joue, il parvient à glisser entre deux couplets de "California" : "I Hate this guitar !", ce qui provoque l'hilarité de l'assemblée. Grand moment ensuite avec "The Art Teacher", sommet de romantisme, où ses envolées vocales prennent aux tripes. A peine le temps de se remettre, et une nouvelle chanson est jouée : "Zebulon".

Marqué par la dure épreuve qu'a été l'écriture de son opéra, le chanteur aspire pour son prochain album à des chansons épurées, uniquement accompagnées par ses soins au piano. On attend cela avec impatience, tant sa prestation en solo ce soir tourne à la démonstration. Après l'immense "Cigarettes And Chocolate Milk", passage obligé de chacun de ses concerts, il se retire sous une pluie d'ovations amplement méritées.


Il revient peu de temps après pour se lancer dans la "Complainte De La Butte", célèbre chanson française (écrite par Jean Renoir et Georges Van Parys pour le film French Cancan dans les années 50) qu'il a reprise pour la B.O. de Moulin Rouge. C'est chanté à la perfection, en français s'il vous plait, et avec un délicieux accent anglo-saxon. Puis vient la surprise qu'il avait annoncée en début de spectacle et qu'on attend tous avec impatience : un extrait de son opéra Prima Donna. Pas n'importe lequel puisqu'il s'agit du final, intitulé "Les Feux d'Artifice T'Appellent". Arpèges de piano, chant mélancolique, c'est du pur Rufus Wainwright, à ceci près que les paroles sont en français. On est sous le charme et d'autant plus curieux de savoir à quoi ressemblera cet opéra, dont le canadien parlera tout au long de la soirée avec passion.

L'histoire de Prima Donna se déroulera à Paris et sera centrée sur le personnage d'une cantatrice préparant son come-back et tombant amoureuse d'un journaliste (personnage inspiré par Maria Callas). Rufus Wainwright est parvenu, non sans mal, à imposer sa vision pour que le livret soit écrit en français. L'opéra sera présenté pour la première fois dans le cadre du Manchester International Festival le 10 juillet prochain (quatre autres représentations sont prévues les 12, 14, 17 et 19 juillet). Rufus nous incitera à plusieurs reprises durant la soirée à y aller. On a surout envie de lui demander s'il est prévu une représentation à Paris.

L'ambition d'écrire un opéra aurait de quoi faire rire s'il s'agissait de n'importe quel chanteur pop. Mais étant donné que l'on parle de Rufus Wainwright, on est juste excité de savoir ce que ça va donner. C'est que ce chanteur d'exception a l'opéra dans le sang. Il a construit son style et son répertoire en insufflant dans ses chansons ce lyrisme, cette verve, ce grain de folie propres aux grands opéras. Il salue le public, qui est debout et acclame son héro aussi fort que possible. Puis le chanteur sort de la scène... pour mieux y revenir une toute dernière fois, et chanter "Foolish Love", la première chanson de son premier album. Celle-ci reste, une décennie après, une de ses plus grandes réussites. La boucle est bouclée, et on est aux anges en sortant de la salle : entendre pareille voix dans de telles conditions, cela vaut tout l'or du monde.

Set-List : 01 Going To A Town, 02 Leaving For Paris No. 2, 03 Beauty Mark, 04 Sanssouci, 05 Gay Messiah, 06 Grey Gardens, 07 Memphis Skyline, 08 Hallelujah, 09 When Most I Wink, 10 A Woman's Face, 11 California, 12 Not Ready To Love, 13 The Art Teacher, 14 Zebulon, 15 Cigarettes And Chocolate Milk / Rappel / 16 Complainte De La Butte, 17 Les Feux d'Artifice T'Appellent / Rappel 2 / 18 Foolish Love

Lire également la chronique du concert sur Froggy's Delight.