lundi 29 novembre 2010

Arcade Fire (26 Novembre 2010, Halle Tony Garnier, Lyon)

Alors que la planète rock est à leurs pieds, qu'ils ont publié au beau milieu de l'été The Suburbs, troisième album en forme de consécration, on attendait en vain ces dernières semaines un passage des Canadiens à Paris. L'impatience se fait d'autant plus ressentir qu'on les a ratés début juillet au Casino de Paris et qu'on a volontairement décidé de ne pas les re-revoir (après 2005 et 2007) à Rock En Seine. Bien nous en a pris, la pluie leur ayant joué un sale tour ce soir-là. Pas d'autre choix donc que de plier bagages et filer chez les gones.

Alors que l'on se faufile dans la fosse de l'immense Halle Tony Garnier (un petit Bercy), on a les pieds qui frétillent. Pourquoi faire tant de cas d'Arcade Fire ? Car dans un contexte rock qui a rarement été aussi morose, il ne reste plus grand monde capable de reprendre le flambeau, et personne ne le fait avec plus de verve qu'eux.

On se réjouit donc de les voir prendre lentement mais sûrement le chemin des stades (O2 Arena à Londres et Madison Square Garden à New-York remplis à ras-bord). A l'heure où la programmation des grandes arènes se résume à des groupes ayant un pied (voire deux) dans le passé ou aux Muse, Lady Gaga et consorts, et alors que chaque sortie médiatique des Strokes inquiète chaque fois un peu plus, Arcade Fire est en passe de s'imposer comme le plus grand groupe de rock contemporain.

Ce n'était pourtant pas gagné d'avance : des tronches pas possibles, une musique exigeante et tout sauf soumise aux dictats FM, deux années hors du circuit le temps de se ressourcer, une image arty, une attitude no bullshit. Ils sont résolument à part et c'est ce qui fait leur force : leur vitalité fait tellement de bien dans l'univers ronronnant du rock.

La curieuse première partie (Fucked Up) nous donne à voir un sacré spécimen. Le chanteur est un beau et costaud bébé velu qui braille, rugit et parfois hurle. Le tout secondé par trois guitaristes et un bassiste qui maltraitent leurs six cordes avec application. Une prestation toute en finesse, en somme.

Le frontman-malabar se retrouve la bedaine à l'air dès la fin de la première chanson puis descend dans la fosse serrer des pinces et effrayer le chaland. Le (très bon) groupe se retrouve alors orphelin pour un bon moment, puisque Damian Abraham (c'est son nom) vient faire son show jusqu'au beau milieu du public Aussi épatant que cela puisse être, il en résulte un manque visuel sur scène.

Musicalement, le groupe sonne comme des Brian Jonestown Massacre sous speed et potards à 12. On apprécie malgré l'épuisante voix hardcore du chanteur. On demande surtout à voir ce que donneraient les Fucked Up avec un chant approprié à leur musique. Ils en seraient assurément grandis.

Montant sur scène au son de "The Suburbs (continued)", Arcade Fire est accueilli comme il se doit : par un déluge de cris et de sifflets. En arrière fond, projeté sur écran géant, un décor d'échangeur autoroutier. La banlieue en arrière-plan, comme un prolongement des récents titres du groupe. Une note de guitare retentit, martelant chaque temps, appuyée par la grosse caisse. Une deuxième vient s'entrelacer avant que la batterie ne fasse s'emballer la machine : "Ready To Start", forcément. Après cette grandiose mise en bouche, The Suburbs est mis de côté au profit de classiques des setlist du groupe : "Keep The Car Running", "Neighborhood #2 (Laïka)", "No Cars Go", "Haïti".

Pendant une heure et demi, Lyon a droit à un festival de grandes chansons, un véritable feu d'artifice rock. Le groupe est en forme, se déchaîne, donne de la voix, les membres jonglent - comme à l’accoutumée - entre les instruments avec une insolente facilité. Will Butler (frère du chanteur et véritable touche-à-tout) maltraite régulièrement son tambour, le finissant même à coups de poings sur l'orgiaque enchaînement "Neighborhood #3 (Power Out)" / "Rebellion (Lies)". Régine Chassagne (moitié de Win Butler à la ville) mériterait un paragraphe à elle seule : Régine fait de la batterie, Régine joue de l'orgue, Régine chante, Régine agite des rubans de couleur dans tous les sens, Régine joue de l'accordéon, Régine est aux claviers,...

Avec ces diables de canadiens, il se passe en permanence quelque chose sur scène. Mais, trônant au beau milieu de ce fatras, c'est bel et bien Win Butler qui hypnotise l'assemblée. A première vue, qui aurait parié un kopeck que ce chanteur jadis accoutré comme un croque-mort, plutôt timide et humble hors des planches, deviendrait un jour le chef de meute de la formation la plus passionnante depuis Radiohead ? Pas grand monde. Sauf que sur le champ de bataille, enfilant le costume de prédicateur à l'aura quasi-chamanique, il se révèle en général grandiose.

Arcade Fire a de l'or dans les doigts et les cordes vocales : avec eux, un bon morceau devient instantanément un hymne : entre un "No Cars Go" épique, un magnifique "Haïti" au final musclé, un "Month Of May" électrisant, un "Sprawl II (Mountains Beyond Mountains)" tubesque, "Une Année Sans Lumière" à la fin fin jubilatoire, on ne sait plus où donner de la tête.

Intensité et énergie, tempo frénétique, envolées grandioses, son massif, telle pourrait être la formule magique d'Arcade Fire. Sauf que perché à l'orgue ("My Body Is A Cage", bonne surprise de la setlist - pas jouée en concert depuis deux ans, prévient le chanteur -, avec le rouquin déjanté Richard Reed Parry à la contrebasse) ou au piano (splendide "The Suburbs"), Win Butler prouve en deux chansons trois mouvements que sa troupe sait aussi faire preuve de subtilité et de douceur.

Les canadiens nous réservent une fin de soirée fabuleuse : "Neighborhood #1 (Tunnels)" (beau à pleurer) et "We Used To Wait" avant le clou de la soirée : "Neighborhood #3 (Power Out)" - enivrante malgré une voix pas très assurée - et "Rebellion (Lies)" se succèdent sans transition, dynamitant tout sur leur passage. En rappel, Lyon a droit à "Intervention" - un peu pompier mais diablement efficace - et l'incontournable "Wake Up", qui finit de nous achever les cordes vocales.

Avec une setlist centrée sur Funeral et The Suburbs et une générosité admirable dans l'effort, Arcade Fire a livré en cette fraîche soirée lyonnaise un concert pas parfait mais presque. La faute à un son certes puissant mais manquant de relief, de profondeur. On a aussi senti quelques pointes de fatigue dans la voix de Win Butler. Enfin, on ne peut que regretter de ne pas avoir entendu résonner "Empty Rooms" et "Deep Blue" dans la halle Tony Garnier.

Parmi des dizaines d'autres raisons, on sera éternellement reconnaissant à Arcade Fire pour avoir décomplexé tous les chanteurs en herbe. Car à un concert des canadiens, on chante sans retenue ni arrière-pensée des refrains exaltants, créant une pulsion libératrice commune à tous les spectateurs. On est à mi-chemin entre les choeurs de l'armée rouge version rock et la bande de marins de retour sur la terre ferme. Quoi qu'il en soit, après avoir beuglé tout notre saoul la pléiade de refrains magnifiques proposés ce soir, on ressort de la Halle Tony Garnier trempé de sueur et ivre de bonheur.

Set-list Arcade Fire : Intro The Suburbs (continued), 01 Ready To Start, 02 Keep The Car Running, 03 Neighborhood #2 (Laïka), 04 No Cars Go, 05 Haïti, 06 Sprawl II (Mountains Beyond Mountains), 07 Rococo, 08 Une Année Sans Lumière, 09 My Body Is A Cage, 10 The Suburbs, 11 Month Of May, 12 Neighborhood #1 (Tunnels), 13 We Used To Wait, 14 Neighborhood #3 (Power Out), 15 Rebellion (Lies) / Rappel / 16 Intervention, 17 Wake Up

mardi 23 novembre 2010

Gorillaz (22 Novembre 2010, Zénith)

Voilà huit mois déjà que notre mp3 s'est échoué sur Plastic Beach, dernier disque en date de Gorillaz. Si notre avis reste le même sur cette livraison en-deçà de nos espérances, le collectif de Damon Albarn dispose de suffisamment d'armes pour nous attirer dans ses filets. D'autant plus que les compte-rendus des concerts britanniques de Gorillaz nous ont sacrément mis l'eau à la bouche. Malgré le prix du billet fort dissuasif, il est donc hors de question de rater l'événement, et l'envie prend le dessus sur la raison. Bien nous en a pris : Damon Albarn et sa troupe n'ont pas failli à leur réputation, livrant une performance époustouflante.

Avant cela, il a fallu braver la file d'attente interminable (un problème d'acheminement du matériel de Gorillaz a retardé l'ouverture des portes d'une heure et demi) puis patienter poliment devant la première partie peu convaincante de Little Dragon. Malgré quelques passages syncopés plutôt emballants, leur prestation électronique, trop brouillonne, ne passionne guère.

Il en est tout autrement de De La Soul : en une demi-heure, les vétérans du rap U.S. réalisent un véritable tour de force. Posdnuos, Trugoy The Dove et Pasemaster Mase parviennent aisément à se mettre dans la poche un public qui n'est pourtant pas le leur. Ces quarantenaires précurseurs dans les années 80 ne se la jouent pas gangsta, pas besoin. Attisant la ferveur de la foule par un efficace jeu avec le public ("the party is over here", "no, it's over here", etc...) et empilant les tubes de leur riche carrière (dont "Ring Ring Ring", "Saturdays" et "Me Myself And I"), les américains nous laissent bluffés par leur incontestable maîtrise scénique. Ils tiennent le zénith par les couilles et ne le lâchent pas. Chapeau, les vieux. La salle, chauffée à blanc, est fin prête pour l'arrivée de Gorillaz.

La dernière fois que l'on a vu Damon Albarn sur scène, c'était lors d'un concert mémorable en 2003 avec Blur (mais sans Graham Coxon), dans la fournaise survoltée du Bataclan. De l'eau a coulé sur les ponts depuis, et l'anglais a pris en quelques années une toute autre dimension. Déjà star du (brit) rock, il a ajouté à sa panoplie une crédibilité artistique acquise à la force du clavier. La cadence infernale qu'il s'est imposée depuis la création de Gorillaz au début du siècle - on ne se rappelle plus la dernière fois où Damon Albarn menait moins de trois projets de front - et la qualité de chacune de ses productions a fini par forcer l'admiration de ses pairs, des critiques, et d'un public hybride (aussi bien pop-rock que hip-hop, électro ou soul).

D'emblée, on comprend que Damon Albarn n'a pas fait les choses à la légère. Pendant que les violonistes (sept musiciennes physiquement sympathiques) interprètent l'intro de Plastic Beach dans une version rallongée, on a toutes les peines du monde à compter le nombre de musiciens qui vient s'installer sur scène (à la louche, on approche la trentaine de personnes) : deux batteurs, trois choristes, deux claviers, les neuf cuivres du Hypnotic Brass Ensemble,... Mais nous n'avons d'yeux que pour nos deux héros rock, les Clash Mick Jones et Paul Simonon. Ce dernier parcoure la scène comme un boxeur avant un combat. Dans la pénombre, on cherche Albarn du regard. On le trouve, devant son clavier, sérieux et concentré sous son perfecto noir.

Sur l'énorme écran géant surplombant la scène, Snoop Dogg apparaît en même temps que les lumières, révélant la colossale formation vêtue de costumes de marins. C'est parti pour deux heures d'un show virevoltant. On traverse la soirée dans la peau d'un un gamin à une fête foraine : on n'a pas assez d'yeux pour tout voir. On ne peut en effet s'empêcher d'être hypnotisé par cet écran géant qui diffuse clips fascinants et intermèdes animés délirants - mettant en scène un Murdoc enfermé dans sa loge avec ses comparses et pétant complètement les plombs.

On reste bouche bée devant l'impressionnante galerie d'invités (presque tous parfaits) qui défile sur scène : l'imposant Hypnotic Brass Ensemble, la sémillante Rosie Wilson (mention spéciale à son pantalon chamarré), le cultissime Bobby Womack - qui accuse certes quelques kilomètres au compteur et cabotine un tantinet, mais est surtout très en voix -, le bondissant Bootie Brown, les facétieux De La Soul, la chanteuse de Little Dragon (Yukimi Nagano), insipide quelques minutes plus tôt et si touchante lors de ses duos avec Damon Albarn (splendides versions de "Empire Ants" et 'To Binge", façon comédie musicale), Daley, les musiciens syriens de The National Orchestra For Arabic Music (auxquels Albarn réserve un accueil chaleureux), Bashy & Kano.

Mais on retiendra surtout les merveilles de singles qui s'empilent devant nos yeux deux heures durant. On prend en pleine face l'étendue et la qualité du répertoire de Gorillaz : entre les réussites du dernier Plastic Beach - il y en a - (l'explosive "Stylo", irrésistible rouleau compresseur, l'efficace "On Melancholy Hill", "Plastic Beach", "Empire Ants" ou encore le délire synthétique "Glitter Freeze") et les titres plus subtils de Demon Days qui récoltent la faveur des sufrages ("Last Living Souls", "Kids With Guns", "Dirty Harry", "DARE", "Feel Good Inc."), la setlist vient combler les fans de la première heure avec de superbes versions de "19-2000", "Tomorrow Comes Today" et "Clint Eastwood", celle par qui tout a commencé. En une décennie, le groupe - jusque-là virtuel et qui prend vie ce soir - s'est confectionné une palette musicale d'une diversité incroyable.

Le concert aurait pu être parfait si le son n'était pas venu gâcher la fête. On ne lui en veut pas - surtout qu'armé de son instrument comme d'une mitraillette, il a l'air de s'éclater comme un petit fou -, mais les basses saturées de Paul Simonon couvrent tout. Ça en est même insupportable par moments, d'autant plus que la guitare de Mick Jones est régulièrement inintelligible. Les habitués du Zénith ne s'en étonneront pas, mais c'est rageant. On regrettera également le dispensable épisode du drapeau blanc agité à la fin de "White Flag". Non content de manquer de peu d'assommer son clavier, Albarn se fourvoie dans ce rôle : un Bono, c'est déjà trop, pas besoin d'en rajouter.

Mis à part ces désagréments, ce Escape To The Plastic Beach Tour retrace à la perfection une épopée remarquable. Damon Albarn est impeccable, comme d'habitude : tantôt vindicatif comme aux plus belles heures de Blur, se faisant plus charmeur lorsque le tempo retombe, ou enfilant le costume de chef d'orchestre survolté, il s'amuse comme un enfant dans un magasin de jouets. Le pari était loin d'être gagné quand Albarn et Jamie Hewlett se sont lancés dans l'aventure il y a une dizaine d'année. L'ex-Blur le sait, et semble visiblement ému et comblé de la tournure qu'ont pris les évènements. Après une fin de concert intense en forme de chorale soul où Bobby Womack joue une dernière fois les invités de luxe, Damon Albarn salue chaleureusement son public. Il resplendit de bonheur et de satisfaction. Il peut.

Setlist Gorillaz : 01 Orchestral Intro, 02 Welcome To The World Of The Plastic Beach (with Hypnotic Brass Ensemble), 03 Last Living Souls, 04 19-2000 (with Rosie Wilson), 05 Stylo (with Bobby Womack & Bootie Brown), 06 On Melancholy Hill, 07 Rhinestone Eyes, 08 Kids With Guns, 09 Superfast Jellyfish (with De La Soul), 10 Tomorrow Comes Today, 11 Empire Ants (with Yukimi Nagano / Little Dragon), 12 Broken (with Hypnotic Brass Ensemble), 13 Dirty Harry (with Bootie Brown), 14 El Manana, 15 Doncamatic (with Daley), 16 White Flag (with Bashy, Kano & The National Orchestra For Arabic Music), 17 To Binge (with Yukimi Nagano / Little Dragon), 18 DARE (with Rosie Wilson), 19 Glitter Freeze, 20 Punk, 21 Plastic Beach / Rappel / 22 Cloud Of Unknowing (with Bobby Womack), 23 Feel Good Inc. (with De La Soul), 24 Clint Eastwood (with Bashy & Kano), 25 Don't Get Lost In Heaven, 26 Demon Days

jeudi 18 novembre 2010

AaRON (17 Novembre 2010, Cabaret Sauvage)

Venu défendre sur les planches son nouveau-né Birds In The Storm - où le duo français se déride enfin -, AaRON revient sur le devant de la scène avec un album décomplexé et aventureux. Le succès semble assuré et serait autrement plus compréhensible que celui d'Artificial animals Riding On Neverland (2007). Avec cet album, AaRON a commis un veritable hold-up : le pénible matraquage FM de "U-Turn (Lili)" ne cachait pas la vacuité de l'ensemble.

Nous les retrouvons en cette fin d'année 2010 au Cabaret Sauvage pour un Concert Privé mêlant fans, gagnants de concours, photographes et reporters. Liseaupiano est déjà au piano lorsque nous fendons la foule pour nous placer non loin de la scène. Musicalement, ses comptines très chanson française représentent à peu près tout ce qui nous fait hérisser les poils : l'axiome "les textes d'abord, les mélodies après, éventuellement". La demoiselle joue très bien de son piano, a un réel charme, mais ça ne passe pas. La chanson la plus convaincante de son set sera même une reprise de... 50 Cent ("P.I.M.P.").

C'est avec "Rise" qu'AaRON entame son concert. Le duo, devenu quintette pour l'occasion, affiche tout de suite ses intentions. Répondant à l'appel des grands espaces, les nouvelles chansons prennent de l'altitude : "Inner Streets", "Rise", "Ludlow L" et surtout "Seeds Of Gold" sont l'oeuvre d'un groupe sûr de lui et ayant sacrément pris du gallon en l'espace de deux ans.

Les nouveaux morceaux se font plus ambitieux, plus sinueux, et surtout plus subtils. A défaut d'avoir une grande voix, Simon Buret les chante avec conviction. Parcouru régulièrement d'un étrange tic buccal - chanter en ouvrant le moins possible la bouche -, il assure le show à lui tout seul, sobrement mais élégamment. Rien d'extraordinaire, pas d’esbroufe. Mais de la sueur et du plaisir à revendre.

Jusqu'à ce concert, AaRON nous renvoyait l'image d'un groupe désespérément austère et se prenant un peu trop au sérieux (on défie quiconque de trouver une once d'humour dans leurs clips). On découvre tout autre chose sur la scène du Cabaret Sauvage. Bon, ce n'est pas non plus la fête à neuneu, mais on apprécie la dose d'humanité qu'on ne soupçonnait pas jusque là.

Outre l'excellent "Seeds Of Gold" (qui sent certes Coldplay à plein nez), on est comblés par la mélancolie de titres tels que "Arm Your Eyes", "Rise" ou "Little Love" (et son refrain murmuré en choeur "don't worry, life is easy"). Que nous manque-t-il alors pour être totalement conquis ? A quelques exceptions près, les titres du premier album ne font guère décoller. Les nouvelles chansons proposent de belles envolées mais qui restent encore trop timorées. Surtout, malgré tous les efforts du chanteur, les Aaron restent un peu trop pop sur eux.

Au final, force est d'avouer que l'on a assisté à un bon concert. AaRON, groupe à suivre ? L'idée nous aurait fait sourire il y a quelques mois, elle prend tout son sens ce soir.

Setlist AaRON : 01 Rise, 02 Endless Song, 03 Lost Highway, 04 Inner Streets, 05 Blow, 06 Seeds Of Gold, 07 Birds In The Storm, 08 A Thousand Wars, 09 The Lame Souls, 10 Waiting For The Wind To Come, 11 Arm Your Eyes / Rappel / 12 Little Love, 13 Ludlow L, 14 U-Turn (Lili), 15 Passengers

mercredi 10 novembre 2010

Belle & Sebastian "Write About Love"

Au stade du 7ème album, que peuvent bien encore apporter à la pop les Belle & Sebastian ? Question légitime, et pourtant : même si l'on n'attend plus d'eux monts et merveilles, les B&S prouvent album après album qu'ils restent créatifs et crédibles.

Write About Love apporte une pierre de plus à l'édifice hautement mélancolique des écossais. Pas d'embrouille sur la marchandise : ce disque ne révolutionnera pas la planète pop mais procure un confortable plaisir.

L'entrée en matière est poussive ("I Didn't See It Coming", lorgnant vers le progressif). Puis les choses s'améliorent avec "Come On Sister". Guitare vaguement strokesienne, atmosphère gentillette et guilerette (on ne nomme pas inocemment son groupe Belle & Sebastian), synthés d'un autre âge : on adhère. Réchauffement climatique confirmé avec "Calculating Bimbo", ballade décontractée et doucement mélancolique.

Comme c'est souvent le cas pour les titres un peu faiblards de Belle & Sebastian, c'est le refrain qui sauve "I Want The World To Stop". Sortez les mouchoirs, allumez les briquets : place ensuite à la ballade qui tue tellement qu'elle est belle. Il faut dire qu'il est assez difficile de résister au charme de "Little Lou Ugly Jack Prophet John". Vague à l'âme quand tu nous tiens.

Le titre "Write About Love" délaisse la pop ouatée qui a donné au groupe ses lettres de noblesse pour s'adonner avec succès à une musique élancée et efficace plus proche des deux derniers essais du groupe (les sympathiques Dear Catastrophe Waitress, 2003 et The Life Pursuit, 2006). "I'm Not Living In The Real World" fait un tour du coté psyché, on pense à du Love chanté par Syd Barrett, ou un assemblage débile dans ce genre. Belle surprise, mais les enluminures ne compensent pas totalement les faiblesses de la composition.

"The Ghost Of Rockschool", plaisante mais anecdotique, offre à entendre de belles parties de cuivre. "Read The Blessed Pages", jolie sérénade acoustique, se retrouve défigurée à mi-chemin lorsqu'un vilain son de flûte de pan fait son apparition dans un style purement péruvien. Vangelis, sors de ce corps. Si l'on se bouche les oreilles au moment de son intervention, c'est un titre très honorable. "I Can See Your Future", chanson cinématographique comportant une fois encore de très beaux cuivres et un agréable chant féminin, est une belle réussite. Enfin, "Sunday's Pretty Icons" est entraînante mais pas inoubliable.

Write About Love est donc un disque partiellement raté, mais au véritable charme. L'atout de Belle & Sebastian, c'est qu'on les aime malgré leurs défauts. Write About Love ne convaincra donc pas les détracteurs de la troupe écossaise et ne changera certes pas notre vie, mais procure son lot de bien-être. Belle & Sebastian c'est comme les Chupa Chups : ça a beau être bourré de sucre, on y plonge avec délice. Un plaisir coupable.

mardi 9 novembre 2010

LCD Soundsystem, The Bewitched Hands, Jamaica & Is Tropical (8 Novembre 2010, Zénith)

Pour sa dernière date parisienne, le festival Les Inrocks délaisse le boulevard Rochechouart pour s'installer Porte de Pantin. Sur le papier, l'affiche du Zénith est sacrément déséquilibrée. Elle le sera également dans les faits : commencée de façon très brouillonne, la soirée finira en trombe.





Le peu que l'on ait écouté d'Is Tropical ne nous incite pas vraiment à faire preuve d'enthousiasme. Confirmation avec ce concert poussif : la musique du trio électro rock londonien laisse nos guibolles désespérément statiques. Compositions pas très fines et sans réel fond (des "boum boum" de grosse caisse et de lourdes basses synthétiques ne font pas tout), de vilains cache-nez sur le visage : leur performance, peu aidée par une sono catastrophique, se fait pénible à mesure que les minutes s'égrènent.

Un trio succède à un autre : les parisiens de Jamaica (difficile de louper leur nom : les musiciens évoluent au milieu des 7 lettres rouges majuscules) montent sur scène au son de "Dreadlock Holiday" de 10 CC ("I don't like reggae, I love it"), preuve que le groupe manie bien l'ironie. Car Jamaica a autant à voir avec le reggae que Teddy Riner avec la pelote basque. Ils doivent par contre pas mal de choses à Phoenix. Si les ex-Poney Poney produits par un Justice (Xavier De Rosnay, le petit sans la moustache) tentent de suivre la voie des versaillais, c'est avec moins de verve.

Ils ont quand même du mérite dans un Zénith désespérément vide (moitié plein ? moitié vide ? la question nécessite assurément un débat) et à la sono chaotique (on a très bien compris ce que voulait dire la batterie, beaucoup moins les guitares). Les parisiens sont appliqués. Trop, même. Sur album, les morceaux de Jamaica ne brillent certes pas par leur originalité, mais ont au moins le mérite d'être efficaces et énergiques. On retiendra ce soir un manque de spontanéité et d'échange avec le public. La fosse, désireuse d'en découdre, attend un déclic qui ne viendra pas. On croit pourtant le moment venu avec "I Think I Like U2", titre il est vrai assez irrésistible, mais l'interprétation manque d'ampleur, et le souffle retombe bien vite.

En délaissant les trios pour les collectifs, on se dit que la roue va tourner. Les rémois de The Bewitched Hands ont beau être sept, on ne décolle pas notre regard des deux étranges gratteux s'excitant en devant de scène : à notre gauche, le chanteur / guitariste à la tronche digne d'un prof de Poudlard, aux lunettes de ma grand-mère et à l'embonpoint de mon grand-père. A ses côtés et à notre droite, un guitariste / chanteur barbu au regard de killer. Même s'ils ne sont plus On The Top Of Our Heads, on reste scotché par la musique des Bewitched Hands, qui distille de vrais instants de grâce.

Les deux chanteurs sont habités sans avoir à en rajouter, le groupe est excellent et déroule une sacrée collection de bonnes chansons aux émanations 90's plutôt élogieuses (on pense à Pavement, Pixies, Grandaddy, Supergrass, ou plus récemment à Arcade Fire et The Shins). Résultat : un remarquable set d'une intensité peu commune. La France tient là un groupe rock ambitieux capable de gravir des montagnes. On sent une grandeur chez les Bewitched Hands, un potentiel énorme. A suivre de très très près, donc. En commençant par se ruer sur leur premier album (Birds And Drums), tout fraîchement sorti.

L'excitation gagne la fosse pendant le changement de scène : ça se sent, ça se voit, tout le monde - nous y compris - est venu pour le supposé last show ever in Paris des LCD Soundsystem. En patientant sagement, ça théorise sur le meilleur show vu des New-Yorkais à Paris. Pour notre part, c'est le premier, on va donc tâcher de garder les yeux grands ouverts. Etant donné la qualité des disques de la troupe de James Murphy et leur excellente réputation live, ça ne devrait pas être trop compliqué.

La longue intro de "Dance Yrself Clean", calme avant la tempête, annonce une heure de déferlante électro-punk-disco. La set-list se concentre essentiellement sur le dernier et très bon This Is Happenning, tout en contentant les nostalgiques avec plusieurs extraits de l'inaugural LCD Soundsystem (2005). Après "Dance Yrself Clean", le groupe enquille la percutante "Drunk Girls", peut-être ce que LCD Soundsystem a fait de mieux depuis ses débuts (et dont le clip est à voir coûte que coûte). L'atmosphère surchauffée retombe un peu sur la paisible "I Can Change", où James Murphy n'a peut-être jamais aussi bien chanté. La chanson est sans doute un chouia trop longue, mais c'est vraiment beau.

"Daft Punk Is Playing At My House" relance les hostilités avant qu'"All My Friends", unique extrait de Sound Of Silver (2007), ne vienne enfoncer le clou par une longue et énergique montée en puissance. "You Wanted A Hit" déroule patiemment son groove glacé, pendant que James Murphy s'énerve progressivement. Sans temps mort, le groupe enchaîne avec "Tribulations", provoquant l'extase du public. Il faut dire que ce tube électro-disco est la définition même de la machine à danser et provoque logiquement moult remous dans la fosse.

Les sonorités ont beau être électroniques, c'est bien à l'énergie rock que carbure LCD Soundsystem. Derrière une section rythmique d'airain (dont une moitié est en short et pieds nus), James Murphy dégage une trompeuse nonchalance qui se mue en frénésie dès que les chansons gagnent en puissance. Donnant de sa personne, il est fascinant d'aisance et d'intensité. Pour preuve l'enchaînement de "Movement" et "Yeah", mastodontes électro-punk, qui laissent le public lessivé après une sauvage explosion finale.

Frustré de devoir bientôt quitter la scène, James Murphy tente de négocier une prolongation, mais se voit adresser une fin de non recevoir. Le show se conclut donc sur "Home", où le public reprend avec émotion le thème de "Dance Yrself Clean". La boucle est bouclée. On aurait vendu notre âme pour une rallonge. Mais on ne peut pas faire la fine bouche après un show de ce calibre. Un putain de concert, voilà ce que nous ont offert les LCD Soundsystem ce soir. Il y a peut-être eu de meilleurs concerts parisiens de LCD, mais celui-ci sera le nôtre. Le seul ?

Setlist LCD Soundsystem : 01 Dance Yrself Clean, 02 Drunk Girls, 03 I Can Change, 04 Daft Punk Is Playing At My House, 05 All My Friends, 06 You Wanted A Hit, 07 Tribulations, 08 Movement, 09 Yeah, 10 Home

vendredi 5 novembre 2010

Midlake, Beach House, John Grant & The Acorn (4 Novembre 2010, La Cigale)

Seconde date du Festival Les Inrocks, cette soirée à La Cigale consacrée aux artistes de l'excellent label Bella Union a de quoi faire saliver : les sympathiques canadiens de The Acorn, la révélation / résurrection 2010 John Grant - dont le merveilleux Queen Of Denmark restera quoi qu'il arrive (au hasard, un concert frustrant) une des sensations de l'année -, la splendide électro-pop lunaire de Beach House, et les américains Midlake, figure majeure du rock indé des années 2000, auteurs notamment de l'inoubliable The Trials Of Van Occupanther il y a quatre ans. Seule crainte alors que nous pénétrons dans la Cigale : la prometteuse montagne allait-elle accoucher d'une souris ?

Pour avoir déjà assisté à plusieurs soirées du Festivals des Inrocks les années passées, on sait à quoi d'attendre : des sets courts et qui nous laissent souvent sur notre faim. Mais la qualité des artistes présentés ce soir semble apte à nous faire mentir. Affiche chargée oblige, il est 19h quand The Acorn monte sur scène. On connait peu ces canadiens précédés d'une très bonne réputation. Leur folk-rock tantôt intimiste tantôt plein d'entrain - bien qu'un peu austère par moments - s'avère être une bonne surprise. Interprétée avec deux batteries, leur musique alterne entre titres lancinants à l'ambiance feutrée avec roulement sur les toms, et chansons plus tendues faisant la part belle aux guitares frénétiques. Pas renversant, mais parfait pour s'échauffer en vue des plats de résistance.

Après un rapide changement de plateau (et pour cause : un clavier, un synthé, un micro, et puis c'est tout), le grand et barbu John Grant s'affiche devant nous. Dès le début de son récital, la partie se présente mal : l'américain annonce qu'il va se faire peu bavard vu le peu de temps à sa disposition pour chanter. Accompagné d'un seul clavier, on sent également que la magie des arrangements de l'album va être compliquée à retranscrire. Debout les bras ballants derrière son micro, John Grant interprète à la file ses chansons : "Marz", "Where Dreams Go To Die", "It's Easier", "Queen Of Denmark", "Sigourney Weaver". Sa voix et la qualité des compositions sauvent le set. Pour le reste, on peut être déçu : 25 minutes d'un show minimaliste, pas de "TC And Honeybear" dans la setlist, un synthé miteux et des versions dénudées ne rendant pas grâce à ses splendides morceaux. Tout ceci ne nous empêchera pas de continuer à chérir son album à sa juste valeur, mais pour ce soir, comme disait l'autre : "C'est un peu court, jeune homme".

Déjà croisés cet été au festival Pukkelpop, on se doutait un peu que les américains de Beach House seraient davantage dans leur élément dans le cadre plus intimiste de La Cigale. Ils réalisent un concert parfait, émaillé de bijoux électro-pop ("Better Times", "Walk In The Park", "Silver Soul", "Take Care", "Used To Be", "Zebra"). Les titres de leur excellent dernier album (Teen Dream) fascinent. Les nappes de synthé s'entremêlent à la perfection, créant un tapis sonore ondulant sur lequel les lignes de chant de Victoria Legrand atteignent des sommets de beauté. Alex Scally bondit autant que possible sur sa chaise, tissant d'irrésistibles ritournelles avec sa six cordes gorgée de réverb. La magie opère : atmosphérique, mélancolique, cotonneuse et lumineuse, la magnifique dream pop de Beach House prend au corps, fait rêver et emporte ailleurs. Même l'étrange secoué de tignasse de madame ne contrecarra pas notre bonheur.

La grande incertitude de la soirée concernait Midlake, dont le dernier The Courage Of Others a quelque peu refroidi nos ardeurs. Fort intelligemment, les américains - vêtus et barbus ce soir comme des clones 70's - jonglent entre les meilleurs titres du nouvel album ("Acts Of Man", "Winter Dies") et des extraits du classique The Trials Of Van Occupanther ("Young Bride", "Roscoe", "Branches", "Head Home"). Empruntant un sentier beaucoup plus rock que sur disque, les sept Midlake - ça en fait du peuple sur scène - séduisent. La finesse de leurs compositions transparaît avec encore plus d'éclat sur scène. Interprétant leurs morceaux avec énergie et proposant des arrangements parfaitement ciselés (duos de flûte traversière, joutes entre quatre guitaristes pas manchots pour un sou, subtiles lignes de clavier), les américains éteignent nos doutes et font taire leurs détracteurs. Et lorsqu'ils invitent sur scène Jason Lytle, le héro indé ultime (leader de feu Grandaddy), pour une reprise de "AM 180" (titre présent sur Under The Western Freeway, premier album de Grandaddy), l'affaire est définitivement pliée. Seule ombre au tableau : des structures et des parties de chant souvent proches d'un titre à l'autre. Mais ceci ne gâche aucunement notre plaisir : on ressort de la Cigale comblé.

L'alléchante affiche a donc presque tenu ses promesses : malgré la semi-déception John Grant, on retiendra avant tout de cette soirée la magie de Beach House et l'épatante maîtrise de Midlake.