samedi 6 février 2010

"Gainsbourg (Vie Héroïque)" de Joann Sfar





Le dessinateur du Chat du Rabbin portant à l'écran la vie tumultueuse du plus grand des chanteurs français : la rencontre des deux univers a, a priori, tout pour plaire. Loin de façonner un énième biopic convenu et lisse, Joann Sfar déjoue habilement les pièges du genre et signe un film très personnel.

Gainsbourg (Vie Héroïque), porté par des acteurs habités et regorgeant de scènes poignantes, se révèle être un très beau film. Seules quelques longueurs viennent tempérer notre enthousiasme : certaines scènes, notamment dans le dernier tiers du film (périodes Birkin puis Gainsbarre), ne sont pas d'un intérêt démesuré.

Comme toute adaptation cinématographique de la vie d'une personnalité publique, une grande partie de la réussite du film repose sur les épaules de l'interprète principal. Bonne pioche : à chacune de ses apparitions, Eric Elmosnino bouffe l'écran de son talent fou. Ce Gainsbourg a de la gueule. L'acteur délivre en effet une prestation en tous points remarquable : l'inévitable jeu des ressemblances est par moments saisissant. Pour ne rien gâcher, la ribambelle de seconds rôles impressionne - particulièrement les femmes ayant traversé la vie de Gainsbourg (Lucy Gordon en Jane Birkin, Anna Mouglalis en Juliette Gréco, Sara Forestier en France Gall, Mylène Japanoï en Bambou, Yolande Moreau en Fréhel). Philippe Katerine tire également son épingle du jeu en campant un sémillant Boris Vian.

Mais le clou du spectacle reste la tornade sensuelle BB (blonde, pas brune), interprétée avec une grâce insolente par Laetitia Casta. On comprend mieux désormais l'impact énorme qu'a eu (en bien puis en mal) le fulgurant épisode Bardot sur la vie de l'artiste. Le choc de leur rupture semble avoir débridé le potentiel destructeur du chanteur. Le film touche du doigt la clé du mystère Gainsbourg, l'extrême complexité d'un personnage brillantissime, d'une timidité maladive mais grand séducteur devant l'éternel, dandy d'un autre âge guérissant ses profonds complexes dans les bras de ses femmes successives, maniant avec habileté et intelligence cynisme et provocation sans parvenir à masquer son extrême gentillesse. Et, surtout, un homme doté d'un talent fou. D'une capacité insensée à jongler avec les mots, d'un sens de la formule réservé aux plus grands, d'une aisance mélodique et orchestrale que peu ont atteinte à part lui.

La grande originalité de ce conte (comme le précise l'affiche), c'est cette marionnette, qui suit le petit Lucien puis le grand Serge comme son ombre, ce mauvais esprit pervertisseur autant que libérateur, métaphore personnifiée des démons qui hantaient le chanteur et qui l'ont conduit à la carrière et la vie que l'on connaît. Joann Sfar n'est pas encore Michel Gondry, dont les aspirations bricolo-poétiques ne sont pas si éloignées, mais dès sa première réalisation, il arrive habilement à s'affranchir des règles du genre en y intégrant son univers singulier. On espère que son film, débordant d'amour pour celui qui restera comme l'un de nos plus grands artistes du 20ème siècle, permettra d'imposer une autre vision de cet immense artiste que celle du Gainsbarre pathétique de la fin, à laquelle tant de gens le réduisent.

Découvrez la playlist Serge Gainsbourg


Lire également la critique du film sur Froggy's Delight.

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