Et si après tout Kasabian, vilain petit canard du rock anglais qu'on raillait avec un malin plaisir, était un (très) bon groupe ? Une formation capable de rivaliser avec les ténors actuels du rock ? La question se pose désormais. Si on se veut de bonne foi, on dira qu'ils ont été occasionnellement bons par le passé, notamment sur leur premier album éponyme ("L.S.F.", "Club Foot", "Reason Is A Treason") avant de verser complètement dans l'indigeste avec un second album ampoulé (Empire). Pour ne rien arranger, leurs prestations live laissaient sérieusement à désirer et Kasabian traînait à raison une réputation de poseurs. Leur air de branleurs suffisants était en effet proprement insupportable (Oasis avaient les chansons qui allaient avec, à l'époque). Bref, la bande de Leicester était bien partie pour être notre tête de turc ad vita aeternam. Et ça nous convenait totalement tant ils avaient le profil parfait du groupe tête à claques. Oui, mais voilà : il viennent de sortir un album grandiose, ce West Rider Pauper Lunatic Asylum qui nous laisse pantois. Et ça change tout.
Ce troisième disque regorge de petites bombes, à commencer par "Where Did All The Love Go" et "Fire", dont les refrains nous collent à la peau comme des sangsues. On ne se rappelle pas avoir écouté chansons aussi excitantes depuis le dernier Eagles Of Death Metal. La première surprise, c'est que même s'ils ne sont toujours pas de grands compositeurs, les deux leaders (Tom Meighan au chant et Sergio Pizzorno à la guitare) arrivent enfin à écrire des chansons là où ils se contentaient auparavant d'aligner les riffs pompeux et répétitifs. Seconde agréable nouvelle : la voix du chanteur, aux tics honteusement pompés sur Liam Gallagher, ne fait plus grincer des dents. On avouera même (du bout des lèvres) qu'il chante ici très bien. Troisième scoop : les titres de Kasabian, plus pop que jamais, ont désormais des teintes psychédéliques. Rien ne laissait présager que ces bourrins seraient un jour capables de tant de subtilité. Par magie, l'âne bâté est devenu pur-sang. Et pour couronner le tout, West Rider Pauper Lunatic Asylum est splendidement produit.
C'est simple : les trois-quart des titres sont formidables. Ca commence sur un riff énorme, ce "Underdog" à décorner les boeufs. On enchaîne avec "Where Did All The Love Go", assurément LE tube de l'été et un des tous meilleurs titres écoutés cette année. Qui, en 2009, est encore capable de mélanger avec cette insolente réussite guitare acoustique, mélodie pop étourdissante, cordes arabisantes, basse lourde et beats electro ? Par les temps qui courent, les chansons pop de ce niveau et aussi efficaces - dès la première mesure, notre corps entier devient incontrôlable - se comptent sur les doigts de la main. "Fast Fuse" sonne comme une version speedée et mature de "Club Foot". Tout ça est impressionnant de maîtrise et il est difficile de se remettre de ce départ en trombe.
Mais la suite de l'album n'est pas en reste : "Take Aim" renverse les shémas habituels du groupe, qui n'a jamais sonné aussi organique (la guitare acoustique, les cuivres). "Thick As Thieves" montre que les anglais peuvent se muer en songwriter doués et que Tom Meighan a enfin appris à chanter. "West Rider Silver Bullet" ne ressemble à rien de ce qu'a pu faire Kasabian auparavant. Nappes de cordes fluctuantes, riff minimaliste et menaçant, mélodie recherchée, batterie lancinante, coeurs aériens : on se croirait chez Ennio Morricone. Après un léger coup de moins bien, les deux derniers titres viennent raviver le feu sacré : "Fire" donne envie de bondir partout comme Roger Rabbit sur son lit ("mille et un, mille et deux..."). Le motif de guitare sautillant et le refrain sont tout simplement irrésistibles. "Happiness" clôt ce petit chef d'oeuvre de pop psyéchédélique par un moment de douceur et de mélancolie encore une fois surprenant de réussite. On croirait même entendre du Blur.
On est quand même embêté de dire autant du bien de West Rider Pauper Lunatic Asylum, car avec cet album, les Kasabian vont se croire encore un peu plus les rois du monde. On reconnaîtra que ça se justifie mieux à présent. Kasabian s'est sacrément creusé la tête sur ce disque et le résultat est à la hauteur de leurs efforts. Désormais, ils tiennent le haut du pavé et Arctic Monkeys trouve là un rival insoupçonné. Reste à savoir si ce disque permettra de relever le niveau de leurs pataudes prestations scéniques.
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