La troisième partie (duo formé de Jack Robinson (qui a collaboré avec Pete sur "I Am The Rain"), et d’une chanteuse blonde) aurait été purement anecdotique si l'on omet le fait que Pete, de bonne humeur et sans doute sorti de son bus depuis peu, vient en personne présenter le groupe. Crise d'hystérie immédiate dans le public, lequel se lance dans un "happy birthday" (Pete aura 30 ans deux jours plus tard). Reste qu'après les diverses malheureuses expériences lors de ses précédents concerts parisiens (Eurostar bloqué sous la Manche, annulations, reports, deux heures de retard pour s'être endormi sur un banc, difficultés à tenir debout et articuler correctement deux mots à la suite,...), le sentiment qui prédomine dans la fosse est bel et bien le soulagament ("Ouf... il est là, il tient à peu près debout... tout va bien !"). C'est que voir Pete arriver en avance pour l'un de ses concerts, c'est assez rare pour être souligné ! Il se poste ensuite sur le côté de la scène, derrière les amplis, pour regarder la prestation du groupe. Ce qui n'aide pas vraiment la chanteuse à capter l'attention du public, tant celui-ci est accaparé par la présence du maître de soirée.
Après ces amuses-bouche, l'excitation monte petit à petit. Pete arrive l'air de rien, seul avec sa guitare, et entame "You're My Waterloo", très belle Face-B des Libertines qui ici, dépouillée de tout artifice (une guitare, une voix), touche au sublime. On est pris aux tripes, et l'on constate avec bonheur que la cible favorite des tabloïds anglais semble dans un bon jour, détendu, heureux d'être là et concerné. La chanson se termine par une ovation méritée, puis le groupe arrive. Pete annonce Graham Coxon à la guitare, ce monument des années 90, mais personne ne semble s'en soucier. Les kids n'ont d'yeux que pour le bad boy londonnien, ce qui fait doucement sourire l'ex-ex-Blur (ou, au choix, le futur-ex Blur). Ce qui est assez révélateur de l'aura de Pete auprès de ses fans et de son immense importance dans le paysage rock actuel.
Le groupe enchaîne ensuite, dans l'ordre, les cinq premiers titres de "Grace/Wastelands" (Arcadie, Last Of The English Roses, 1939 Returning, A Little Death Around The Eyes (co-signée avec Carl Barât, son ex-alter ego des Libertines), Salomé), et l'on comprend tout de suite que Peter Doherty a signé là un grand album. Ses chansons sont traversées par la grâce et révèlent pour la première fois un Pete apaisé, maître de son art. Le son est bon, la voix juste et touchante, le groupe (composé pour moitié de Babyshambles) excellent et les arrangements somptueux.
Les concerts de Pete Doherty révèlent tous une part d'imprévu, celui-ci ne dérogera pas à la régle, loin s'en faut : il se passe des trucs vraiment amusants (ou bizarres, c'est selon) pendant ses concerts. En effet, les jeunes fans de l'anglais ont une façon assez particulière de lui témoigner leur attachement en lui lançant toutes sortes d'objets sur scène. Décompte final de la soirée : trois sous-tif, une écharpe, une bague, un muffin d'anniversaire (dans lequel Pete croqua goulument, non sans avouer au préalable qu'il allait en effet avoir 27 ans prochainement... Ajoutez trois bonnes années et vous aurez le bon compte), un collier lancé au hasard et venant miraculeusement s'accrocher sur le manche de sa guitare, un drapeau de l'Union Jack, plusieurs mots qu'on imagine plutôt doux,...
Le chanteur s'amuse de ces inombrables signes d'affection, répond "I love you too" à l'une des nombreuses filles lui déclarant sa flamme, s'amuse avec son public, échange avec lui, blague, fait partager son excellente humeur. Il va jusqu'à s'amuser avec Graham Coxon, qui voit avec stupeur le chanteur le couvrir de baisers puis lui lancer un des soutiens-gorge qu’une jeune fille du public a envoyé sur scène. Autre moment surréaliste : deux danseuses classiques vêtues d'un tutu apparaissent sur scène en se contortionnant derrière Pete. Puis, alors qu'une bagarre assez violente éclate dans la fosse, il regarde ça d'un air curieux en terminant sa chanson l'air de rien, puis intervient pour les arrêter : "Wo wo wo ! Hey guys !". Quand on connaît la propension de l'anglais à se foutre sur la gueule, ça peut faire sourire. Même lui en rigolera juste après en s'adressant au public : "Hey, did you see that riot starting over there ?". Enfin, un épisode bizarre est survenu lorsqu'un jeune spectateur est monté sur scène et s'est dirigé vers les coulisses en se ruant sur la chanteuse blonde de la 1ère partie, le doigt pointé vers elle. Il a été arrêté immédiatement par la sécurité, mais cet accès de violence vite étouffé était assez étrange.
Ne se laissant nullement distraire par tous ces à-côtés, Pete poursuit son concert avec "Through The Looking Glass" (titre qui à l'origine devait être sur l'album mais qui a été remplacé par "I Am The Rain") et "Palace Of Bone". Puis le groupe prend congé et laisse son leader seul face à son public. C'est dans ces moments-là que Peter Doherty se révèle vraiment, quand il se met à nu et se lance corps et âme dans ses chansons, comme un funambule sans filet de sécurité. Il enchaîne avec une finesse et une sensibilité infinie les trois joyaux que sont "Love Reign O’er Me", "Music When The Lights Go Out" (une de ses meilleures chansons, présente sur le deuxième album des Libertines) et "The Good Old Days" (titre enregistré à la va-vite et en partie bâclé sur "Up The Bracket", premier album des Libertines, mais qui prend ici toute sa dimension et révèle tout son potentiel quand Pete lui accorde toute l'attention et tout le soin qu'elle mérite).
On est ici à la moitié du concert – dores et déjà réussi – mais le meilleur reste encore à venir. Rejoints par Stephen Street (remarquable producteur de l'album, mais aussi du dernier Babyshambles, des Smith et, accessoirement, de la quasi totalité des albums de Blur), Pete et sa bande nous offrent, dans le désordre, la seconde partie de "Grace/Wastelands" (la meilleure). Les chansons se succèdent comme autant de pépites ("I Am The Rain" (avec Jack Robinson), "Sheepskin Tearaway" (avec Dot Allison), "Lady, Don't Fall Backwards" (+ "Bollywood To Battersea"), "Sweet By And By", "New Love Grows On Trees", "Broken Love Song"), révélant les unes après les autres des merveilles de mélodies et affirmant un peu plus si besoin est l'excellence du songwriting de Peter Doherty. Celui-ci boucle sa setlist par la splendide "Albion", chanson phare des Babyshambles et bouleversante ce soir.
Il quitte la scène sous une ovation amplement méritée puis revient peu de temps après dans un ambiance indescriptible pour un rappel qui va aller crescendo (jusqu'à l'explosion finale de "Fuck Forever"). Il commence avec "Back From The Dead", puis poursuit avec "Side Of The Road", chanson totalement punk présente sur "Shotter's Nation" (second album des Babyshambles). La fosse approuve, ça pogotte, ça crie, ça se bouscule. Mais ce n'est rien comparé au délire qui gagne les spectateurs lorsque résonnent dans le Bataclan ces mots : "Did you see the stylish kids in the riot...". "Time For Heroes" : l'hymne absolu des Libertines et sûrement leur meilleure chanson à tout jamais. On se dit alors que c'est parfait en guise de conclusion d'un concert plus-que-parfait, et Pete est à deux doigts de nous donner raison lorsqu'il fait mine de regagner les coulisses. Mais il tourne les talons et le concert atteint alors son paroxysme lorsqu'il claque les premiers accords de "Fuck Forever", envoyé à toute berzingue. Graham Coxon approuve depuis le bord de la seine, et le Bataclan chavire définitivement de bonheur.
L'immensité de son talent nous frappe comme une évidence, et les fans ne s'y trompent pas en acclamant leur héros à l'issue du concert. A peine le temps de voir Pete regagner les coulisses et de se remettre de ses émotions que déjà les roadies envahissent la scène pour plier bagage. Et, surprise, alors qu'on déambule dans la fosse en tentant de reprendre son souffle tout en regardant d'un oeil amusé les fans fous furieux assaillir de toutes parts les techniciens dans l'espoir de grapiller un médiator ou, le must, une set-list, et alors que le concert est terminé depuis bien un quart d'heure maintenant (la moitié de la salle a déjà regagné les trotoirs du boulevard Voltaire), Peter Doherty revient sur scène saluer ses fans restés amassés devant, et ce avec un plaisir non feint. Il serre des mains à la pelle et donne là une véritable leçon d'humilité et d'empathie dont devrait s'inspirer Alex Kapranos.
Comme un signe, après avoir regagné ma voiture j'allume le moteur et tombe sur "The Last Of The English Roses". Sourire béat aux lèvres. Ce type a décidément quelque chose de plus. Pete Doherty est un génie vivant, un diamant brut, un des rares géants de notre époque. Le reste n'est que littérature.
Setlist : You’re My Waterloo (solo) / Arcadie / Last Of The English Roses / 1939 Returning / A Little Death Around The Eyes / Salomé / Through The Looking Glass / Palace Of Bone / Love Reign O’er Me (solo) / Music When The Lights Go Out (solo) / The Good Old Days (solo) / I Am The Rain (avec Jack Robinson) / Sheepskin Tearaway (avec Dot Allison) / Lady, Don't Fall Backwards (+ Bollywood To Battersea) / Sweet By And By / New Love Grows On Trees / Broken Love Song / Albion / (rappel) / Back From The Dead / Side Of The Road / Time For Heroes / Fuck Forever
Merci à Robert Gil pour ses photos.
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