dimanche 17 mai 2009

General Elektriks "Good City For Dreamers"

"Good City For Dreamers" est la parfaite bande son de l'été, le compagnon sonore idéal aux futures heures passées à buller au soleil. Délicieusement groovy, il est traversé par des mélodies aériennes et porté par de merveilleux claviers old school. C'est un album pétillant, ensoleillé, tranquille, qui recèle des trésors cachés à ses quatre coins et dégage une fraîcheur des plus agréables.

General Elektriks, c'est en fait le projet solo d'Hervé Salters, français exilé depuis plusieurs années à San Francisco, où DJ Shadow l'a pris sous son aile. Collectionneur compulsif de synthés vintage et de claviers en tous genres, Hervé Salters a notamment fait un bout de chemin avec l'excellent groupe hip-hop américain Blackalicious (participation à l'enregistrement de l'album "The Craft" en 2005, et à la tournée qui a suivi). Auparavant, il avait publié le sympathique premier album de General Elektriks ("Cliquety Cliqk", 2003), dont est tiré le tube "Tu M’intrigues" (plus connue pour être la bande-son d’une publicité pour une célèbre marque de voiture).

Six ans après, General Elektriks accouche d'un des disques les plus enthousiasmants de l'année : "Good City For Dreamers" est une invitation au rêve, et un titre d'album aura rarement aussi bien porté son nom. C'est que sa musique est très cinématographique : elle passe en revue une multitude de paysages musicaux qui stimulent l'imagination de l'auditeur. Elle est puissamment évocatrice, ce qui explique que décrire l'étendue de l'univers de General Elektriks, la diversité des sons et des ambiances qui le traversent ne se révèle pas chose aisée.

L'écoute de l'album est un vrai voyage, une aventure, une découverte permanente. On va de surprise en surprise, plus excitantes les unes que les autres. L'univers musical est foisonnant, créant des climats et atmosphères différents d'une chanson à l'autre. Hervé Salters met en scène ses chansons comme un réalisateur de cinéma, et c'est sans doute pourquoi on croit souvent écouter la bande son d’un film. C'est aussi une des raisons pour lesquelles on pense souvent à Wax Taylor ici, autre français adepte des collages en tous genres et des mélanges de styles réussis. Sauf que dans le cas de General Elektriks, c'est Hervé Salters en personne qui se charge des voix, et l'ambiance est davantage portée vers la funk et la soul que vers le hip-hop. Mais de son expérience américaine du hip-hop, Hervé Salters a gardé un sens du groove incroyable.

Ainsi, "Good City For Dreamers" ressemble à un shaker géant où le français brasse un tas d'influences avec une réussite insolente. Fourmillant d'idées, de rythmes et de sonorités étranges, le résultat est épatant et révèle un talent pour le bricolage musical unique en son genre. On sent chez lui un vrai amour du son se traduisant par un sens de la mélodie et de l'orchestration rare. On l'imagine aisément passer des heures et des heures en studio à trifouiller sa vingtaine de claviers (dont celui utilisé par Stevie Wonder sur "Superstition") pour trouver LE son qu'il a en tête pour une de ses chansons. Orgues soyeux, nappes de cordes classieuses, claviers perchés dans les nimbes, riffs de synthés grinçants : c'est une véritable orgie de sons en tous genres que propose "Good City For Dreamers".

L'album débute par trois titres d'ouverture, tous excellents : "Take Back The Instant", et son clavier à la Stevie Wonder, emballe dès la première écoute. On est plongés d'entrée dans un incroyable tourbillon funk où claviers crasseux, basse montée sur ressorts, voix cadencée et batterie chaloupée se rendent coup pour coup. "Raid The Radio" tient sur une ligne mélodique obsédante : ce sifflement aérien qu'on ne peut s'empêcher de reproduire à l'envi, quelque soit l'endroit ou le moment. C'est un titre incroyablement addictif, qui ne vous quitte plus sitôt que vous l'avez écouté, et une véritable invitation au sifflotement. Sur "You Don't Listen", le tempo ralentit et se fait lancinant. La basse ronde, les claviers en retrait et sobres, la voix décontractée peignent un paysage douillet que la guitare vient régulièrement secouer de ses solos saturés. Mais le groove, bien que minimaliste, est plus que jamais là, et l'on prend toujours autant de plaisir.

"Helicopter", qui vient immédiatement après, nous convainc moins. Interprétée avec un son agressif et un tempo échevelé, elle durcit le ton et s'ancre clairement dans un esprit rock. Elle dégage énormément d'énergie, mais ne tient pas la comparaison avec les titres précédents. Au contraire de "Cotons Of Inertia", dont l'introduction semble tout droit sortie de la B.O. de Virgin Suicides (composée par Air). Portée par une superbe mélodie au piano, accompagnée d'un violoncelle et survolée par la voix sensuelle d'Hervé Salters, elle fait une nouvelle fois la preuve du talent du monsieur pour concocter des perles avec trois fois rien. Posant une atmosphère étrange et lancinante, cette chanson dégage une puissance érotique certaine.

Vient ensuite "Little Lady", LE tube de l'album, découvert une fois de plus sur Radio Nova qu'on ne remerciera jamais assez de nous sauver du marasme radiophonique ambiant. C'est tout simplement superbe : servi par des arrangements judicieux, sans superflu, c'est un petit chef d'oeuvre qui, comme "Raid The Radio", vous hante longtemps après son écoute. Il a l'évidence des plus grands tubes et une mélodie accrocheuse comme pas deux. Sautillante, mélodieuse, rythmée, sexy, c'est une chanson qui rend heureux et qui dégage un agréable parfum d'été, de soleil, et d'innocence.

La deuxième partie de l'album est un ton en-dessous, mais contient tout de même quelques passages magnifiques. "Engine Kickin'in", chanson sympathique, à l'ambiance lascive, commence comme la B.O. d'un James Bond et se poursuit comme du Jamiroquai. On change complètement d'univers avec "David Lynch Moments", qui va chercher du côté des dancefloor, où elle ferait sans aucun doute un ravage. On n'est jamais très loin de Hot Chip ou des Scissor Sisters ici, preuve qu'il est encore possible de réaliser une chanson dansante sans qu'elle soit immédiatement racoleuse. Si le couplet de "Gathering All The Lost Loves" demeure assez quelconque, c'est une chanson portée par une très belle partie de clavier et un très beau refrain. Sur "Mirabelle Pockets", le ton se veut résolument joyeux. On est ici dans le pastiche avec ce mélange entre piano de cabaret et guitares saturées. C'est à vrai dire un titre un peu débile et assez court, où Hervé Salters chante par onomatopées, le tout pour un résultat qui balance bien et fait mieux que tenir la route.

Le final de "Good City For Dreamers" met un peu plus encore le pied dans l'étrange, à commencer par "La Nuit Des Ephémères", instrumental de quatre minutes où Hervé Salters semble s'amuser comme un fou, à la recherche de sonorités toujours plus étonnantes. Au final, on est à mi-chemin entre un K2000 sous morphine et les bande-sons des films d'Hitchcock. C'est intéressant mais un peu trop redondant pour être réellement passionnant. Heureusement, un clavier bizarroïde vient casser cette dynamique un poil répétitive et redonner de l'élan sur la fin. Avec "Bloodshot Eyes", General Elektriks laisse entrer des sonorités jazz dans sa musique. Touches de clavier étranges, paroles sussurées, curieuse mélodie : bien qu'étonnante, la recette fonctionne, et le résultat est très convainquant. "Rebel Sun" clôt l'album par un titre aux accents latino, et va chercher ses influences du côté de la musique cubaine, le tout servi avec la touche General Elektriks. La chanson prend de l'ampleur dans la deuxième partie : la rythmique s'emballe, les arrangements deviennent plus fournis, et la voix se fait plus incisive. C'est une parfaite chanson de fin d'album, paisible et agréable.

Voilà... "Terminus, tout le monde descend" : le voyage au pays des rêves est terminé. Mais on n'a qu'une envie, c'est d'y replonger. C'est que cette musique sans frontières et à géométrie variable a quelque chose de jouissive. Habitée par un funk élastique, traversant différents âges et paysages musicaux, elle nous fait pénétrer dans un monde foisonnant tantôt cotonneux, tantôt épineux, parfois presque érotique (on retrouve un peu partout des mélodies lentes et suaves), et toujours passionnant. On en redemande, et on se mord les doigts d'avoir raté le passage de General Elektriks à la Maroquinerie en Avril tant ses performances live ont la réputation d'être incandescentes. Mais ce n'est que partie remise.

Lire aussi la critique de l'album sur Froggy's Delight.

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