Qu’est-ce qui a changé entre le premier album (Montgomery, 2006), et ce Stromboli ? De quelle façon vous êtes-vous enrichis ? Que vous a apporté cette expérience ?
Benjamin : Psychologiquement, les deux expériences sont assez différentes. Le groupe s’est formé sur le premier album, on était quatre, et Thomas, même s’il faisait partie de l’aventure, n’était pas encore vraiment intégré au groupe. Ensuite, toutes les trouvailles qu’on a pu faire sur le premier et qu’on a trouvées en enregistrant l’album tout seul, se résument sur le second. On a pris ce qui nous semblait le plus intéressant, les sons qu’on trouvait les plus cool pour représenter notre musique et pour aller le plus loin possible sur Stromboli. Ce qu’on avait touché du doigt sur le premier album, on a essayé de les pousser plus. C’est une suite logique. Le deuxième album ne serait pas comme ça s’il n’y avait pas eu le premier. C’est indispensable, c’est un chapitre avant l’autre.
Sur Stromboli, les arrangements sont d’une grande richesse, très diversifiés (bruitages en tous genres, sonorités très variées, plein d’instruments différents). C’est quelque chose auquel vous faites très attention, sur lequel vous passez du temps ?
Thomas : On passe beaucoup de temps à expérimenter en studio, à enregistrer des pistes, des instruments, même si la plupart du temps ce que l’on fait n’est pas conservé. Mais ça amène vers d’autres choses, ça permet de développer le morceau sur d’autres parties, ce qui donne au final un côté un peu "cut" à notre musique : on peut passer rapidement d’un univers à un autre, de quelque chose de doux à quelque chose d’hyper agressif. On bidouille vachement, c’est beaucoup de bricole. C’est aussi beaucoup de ratés, de petits accidents dans lesquels parfois il y a des choses vraiment bien qui sont découvertes, auxquelles on n’avait pas pensé. Parfois, c’est en gardant certaines pistes entre elles et en enlevant d’autres qu’on s’aperçoit qu’il y a un truc un peu nouveau, qui nous surprend. Généralement, c’est à ce moment-là qu’on décide de ne plus toucher le morceau, c’est quand il y a ce truc, cette sorte d’alchimie qui a été trouvée un peu malgré nous, on se laisse un peu porter par ce truc-là. Il y a beaucoup de choses proposées et on essaie de les synthétiser, d’y donner une cohérence.
C’est un peu ce que j’imaginais : je trouve que Stromboli est un album ambitieux, sur lequel vous avez tenté plein de choses et pour moi, c’est une réussite. Cela a dû vous demander de vous mettre en danger lors de l’enregistrement, pour tenter toutes ces expérimentations ?
Benjamin : A un moment, on s’est posé de vraies questions quant à la difficulté de faire des albums et la raison pour laquelle on faisait de la musique. On a une vraie ambition, on cherche à grandir, à s’épanouir par la musique et pour ça, on essaie de ne jamais se répéter. Donc oui, on cherche à se mettre en danger tout le temps sinon ça n’aurait aucun intérêt. Notre but est d’aller le plus loin possible, et donc forcément on est ambitieux. J’imagine que certains pourraient nous trouver présomptueux mais à notre âge, on n’a plus envie de faire de la musique pour imiter quelqu’un ou quelque chose. On a passé ce cap-là, on ne fait pas de la musique pour appartenir à un "crew". On est orienté uniquement vers la recherche de notre épanouissement artistique.
Sur le disque, certaines chansons sortent du lot ("Baleine", "Volcan", "Le Ciel"…), mais il n’y a pas de single évident. L’album forme un tout cohérent et assez homogène. Vous l’avez conçu davantage comme une œuvre, un voyage, qu’une collection de chansons ?
Benjamin : On cherche à créer un univers, à faire ressentir des choses aux gens, quitte à ce qu’elles soient parfois gênantes ou désagréables. On est dans une culture de l’œuvre et on cherche à ce qu’au final, toutes les chansons forment un univers particulier.
Thomas : On a vraiment la culture de l’album, de l’objet "disque". On aime bien les albums qui s’écoutent d’une traite. Pas forcément les concept-albums ou les opéras rock, ce qu’on fait ce n’est pas du tout ça. Mais les disques qui forment un bloc, où on ne va pas écouter une ou deux chansons et jeter le reste.
Stromboli n’est pas un album qui s’impose immédiatement comme une évidence, à la première écoute. Il demande du temps pour se révéler et dévoiler sa complexité, ce qui est souvent un gage de qualité. Avez-vous conscience de ça, et en êtes-vous fiers ?
Benjamin : Oui, à fond ! Et c’est quelque chose qu’on recherche à la base, on est foisonnant d’idées dans tout ce qui touche à la musique. Les disques qu’on aime sont ceux où les artistes sont allés chercher des détails et qui font qu’un album peut avoir une durée de vie assez longue. Donc on prend ça vraiment comme un compliment, et on joue dessus, ça fait vraiment partie de notre culture. On trouve ça cool que notre album mette du temps à s’installer et qu’on puisse redécouvrir constamment des petits trésors dedans.
Il y a un côté très contemplatif, très innocent dans votre musique. De plus, vos paroles sont souvent décalées, voire fantaisistes, comme sur "Baleine" ("On parle d’une baleine qui me parle de vous…"). C’est quelque chose qui vient naturellement ou que vous cherchez à inclure dans votre musique ?
Benjamin : Non, c’est naturel. Pour ce qui est des paroles, il n’y a pas vraiment d’histoire, c’est juste une envie de faire sonner les mots, d’avoir une image dans la tête. La baleine, on l’a utilisée parce que ça sonnait bien et que ça amenait une petite rythmique en même temps que la guitare et la batterie. On essaie juste de faire sonner les mots, donc c’est vrai que parfois ça peut paraître un peu simple, de la même façon que les Beatles ont aussi pu faire des chansons vraiment contemplatives. Mais pour nous, l’intérêt est dans la sonorité des mots, pas dans leur sens.
Thomas : Là aussi, on utilise le sampling. Il nous permet de ne pas nous balader avec tous les claviers qu’on a utilisés sur le disque, ce qui serait beaucoup trop compliqué. Ça nous permet d’amener tous les sons de l’album sur scène, mais tout est joué en live. Sur Stromboli, il y a pas mal de sons de guitares aussi, un peu triturés, et qui sont joués en direct sur scène. On est cinq, on a dix mains, et on essaie de se débrouiller pour retranscrire au mieux ce qu’il y a sur le disque. Pour l’instant, on essaie d’être assez proche de l’album.
Benjamin : Oui, là dans un premier temps, on essaie de maîtriser l’engin. C’est un sacré challenge de le retranscrire sur scène, ce n’est pas toujours évident. Mais on s’en approche, c’est du gros boulot et c’est passionnant.
Thomas : Oui, Grandaddy on est vraiment tous fans. Par contre, on a écouté l’album solo de Jason Lytle (ndlr : Yours Truly, The Commuter, sorti en mai) et il est un peu décevant. Chez Grandaddy, on aimait bien ce côté à la fois très puissant et très fragile. On est aussi fan de l’utilisation qu’ils ont des petits claviers, avec des sons un peu tous pourris. C’est vrai qu’on est assez proche d’eux en fait.
Benjamin : C’est marrant, parce qu’on a commencé à les écouter au moment de notre premier album, avant on ne connaissait pas trop. On a trouvé pas mal de choses en commun, cela nous a pas mal apporté, et ça nous a conforté dans certaines idées qu’on pouvait avoir. C’est vrai que ça fait partie des références assez importantes pour nous. Jason Lytle, c’est quelqu’un qui fait des choses tout simplement belles avec pas grand-chose et en prenant certains risques, donc c’est aussi un exemple.
Thomas : On est proche d’eux dans la façon de faire : ils ont toujours enregistré leurs disques tous seuls, Jason Lytle mixait souvent les disques lui-même. Mais c’est plus un hasard, on n’a pas voulu reproduire ce qu’il a fait. En tout cas, ça nous aide de savoir qu’il y a des gens qui arrivent à faire de la musique aussi bonne de façon un peu artisanale et indépendante.
Benjamin : Et surtout de voir qu’il maîtrise son truc, qu’il est maître de ses choix, de la production. C’est un peu notre rêve aussi, d’arriver à retranscrire ce qu’on a dans la tête. Lui y est arrivé de façon très personnelle, et c’est un super exemple.
Une autre influence assez marquante, c’est Radiohead. Sur "Baleine", par exemple, les guitares semblent tout droit sorties de "OK Computer", quelque part entre "Subterranean Homesick Alien" et "Let Down"…
Benjamin : C’est cool, ce ne sont pas les morceaux les plus mauvais en plus ! On est des mecs des années 90, donc nos deux influences majeures, c’est Nirvana pour les guitares, et après c’est Radiohead pour tout le côté recherche, beauté de la chose. Donc oui, c’est une de nos principales influences, comme pour énormément de groupes de notre génération. Ils montrent la voie constamment, à chaque album. On connait tout Radiohead par cœur.
Benjamin : Elle s’appelle "La Fin Des Bobo Jours" (rires). C’est pas ton nom de famille d’ailleurs ?
Si, si… (rires)
Benjamin : On s’est dit s’il nous pose cette question on lui répondra ça, c’est marrant (rires). Et tu la poses en plus.
Thomas : Le titre, en fait, c’est "La Fin Des Beaux Jours".
Benjamin : C’est un vieux morceau, un des premiers qu’on a composés pour l’album, il devait même l’ouvrir. Mais au final il est très bien là, caché tout au bout. Comme une espèce de nuage qui arrive sur la fin pour dire "au revoir tout le monde, rendez-vous au prochain épisode". C’est un petit classique des albums qu’on a pu écouter dans les années 90. Ça arrivait souvent de trouver des chansons un peu plus loin qui venaient nous surprendre. Et comme celle-là est assez massive au début, ça correspondait bien.
Avez-vous une tournée de prévue, allez-vous sillonner la France ?
Benjamin : Il va y avoir un peu les festivals d’été : les Vieilles Charrues à Carhaix, Terres du Son, Jour J à Orléans, Foin de la Rue… Et à la rentrée on fera un peu de tournée, ce sera peut-être l’occasion de faire un tour au Canada et au Québec. Après il y aura la Belgique et la France. On a aussi le projet Mad Max, un ciné-concert. On a déjà mis en musique le premier film de la saga, c’est vraiment une expérience sympa. Les gens regardent le film et nous on joue notre musique à côté, c‘est super. C’est différent, ça change un peu. On va reproduire l’expérience à Montpellier notamment. C’est aussi une façon de rester en permanence créatifs. Ne faire que des concerts, ça peut être stressant, et c’est bien de proposer autre chose.
Thomas : Les Fairguson, Arch Woodmann… Je fais de la promo pour ce soir…
Benjamin : Il y a Animal Collective qui montre pas mal de voies en ce moment, c’est chouette, ça nous botte bien. Ils apportent un truc différent, une fraîcheur qui manquait. Mais du coup tout le monde s’engouffre dedans. Il y a aussi Grizzly Bear, avec qui on avait pris une bonne claque sur le premier album. Et le deuxième aussi va être super. Et puis Crystal Antlers.
Thomas : On a des disques où on se rejoint tous, comme ceux qu’on vient de citer, mais chacun de nous a ses propres influences.
Benjamin : Après c’est vrai que tout ce qu’un membre du groupe aimera à fond, on l’aimera un minimum. Il y en a qui écoute plus de musique que d’autres, et d’autres qui sont un peu plus fainéants.
Thomas : Tu as acheté combien de disques ce mois-ci ?
Benjamin : J’en ai acheté trois : Microcastle de Deerhunter, Crystal Antlers, et j’ai acheté un autre vinyle, mais je ne sais plus lequel. C’est déjà pas mal…
Thomas (moqueur) : C’est bien, trois…
Interview réalisée pour Froggy's Delight.
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